Article 8
Le vote de l’article 7 a été annonciateur d’un changement de méthode voulu par la droite sénatoriale et le Gouvernement (voir le déroulé ICI et l’article dédié ICI). L’examen de l’article 8 et particulièrement de l’article 9 (voir infra) a entériné leur souhait d’accélérer les débats, au détriment d’une discussion fondamentale sur l’avenir de notre système de retraite. L’article 8 poursuit la volonté de son précédent en décalant de 2 ans l’âge d’ouverture des droits pour un départ anticipé, passant de 60 à 62 ans. Cette mesure concerne donc les « carrières longues » ayant débuté entre 18 et 20 ans, les pénalisant par un ajout d’en moyenne 4 trimestres.
Le groupe SER a défendu un amendement visant le maintien du dispositif actuellement en vigueur, permettant une ouverture des droits anticipée lorsque la durée d’assurance requise pour le taux plein (43 annuités) est couverte. Le sénateur Montaugé défendait aussi une suppression de ce décalage non fondé pour ceux ayant commencé à travailler tôt, souvent dans des métiers difficiles et pénibles (lire son intervention ICI). Sur le fond, cet article 8 appuie en effet la sévérité de la réforme sur ceux qui auraient au contraire besoin d’une meilleure protection. La difficulté d’un métier s’aggrave à mesure du temps passé à l’exercer.
Les amendements proposés par Franck Montaugé et le groupe SER ont été rejetés. L’article 8 a été adopté à la fin de la journée du 9 mars par 245 voix contre 94.
Articles additionnels après l’article 8
Le groupe SER a proposé des mesures permettant de majorer la durée d’assurance lors de l’éducation des enfants. À destination notamment des mères de familles dont le total de cotisation est parfois pénalisé par une carrière discontinue, ces dispositifs accordent des trimestres de majoration à dessein d’une meilleure prise en compte des parents consacrant un temps important à l’éducation d’enfants.
6 amendements proposés par le groupe ont été adoptés par le Sénat, devenant des articles additionnels à l’article 8 (voir la loi adoptée ICI). Ils corrigent la pénalité faite aux parents et particulièrement aux mères de familles que la réforme engendrait initialement.
Article 9
Ayant débuté dans la nuit du 9 au 10 mars, les discussions sur l’article 9 ont à nouveau démontré l’injustice de la réforme pour les Français. Cet article révèle d’abord d’un glissement sémantique voulu par le Gouvernement et caractérisé par l’absence de critères de « pénibilité » au travail, au profit d’une seule « usure professionnelle ». La seconde est pourtant conséquence de la première ; la pénibilité englobant à la fois les facteurs de risques professionnels objectifs et l’usure personnellement ressentie au travail. L’exécutif mène depuis 2017 une politique d’effacement de la pénibilité du travail, l’ayant par exemple supprimée de l’intitulé du « Compte Personnel de Prévention ».
L’enjeu est ici de continuer à prendre en compte les conditions de travail difficiles que vivent certains salariés. Et plus encore, l’évolution de notre société doit se porter vers une amélioration perpétuelle des conditions d’existence. Les groupes de gauche ont donc rappelé la stratégie assumée du Gouvernement lorsqu’en 2017 furent supprimés 4 critères de pénibilité (la manutention de charges, les vibrations mécaniques, les postures pénibles et les agents chimiques dangereux), réintroduits très relativement par la présente réforme (voir l’intervention du sénateur Montaugé ICI).
Dans la matinée du 10 mars, les débats ont cependant été interrompus par l’annonce du Gouvernement d’appliquer l’article 44 alinéa 3 de la Constitution. En concomitance avec les précédents outils législatifs et réglementaires utilisés (Article 47-1 de la Constitution, article 38 du règlement du bureau du Sénat), l’usage de l’article 44-3 de la Constitution démontre la volonté conjointe de la droite sénatoriale et du Gouvernement de ne pas débattre de leur réforme. Cet article « coup de poing » réduit à un vote unique l’ensemble de la réforme (« vote bloqué ») et l’examen des articles et amendements suivants se fera donc sans scrutin.
En accord avec le rapporteur de la Commission, le Gouvernement a retenu 58 amendements pour le reste du vote et donc exclu d’office les plusieurs centaines d’amendements restants des groupes d’opposition, sans débat ni explication. L’atteinte à la sincérité et à la clarté du débat parlementaire est manifeste et le Conseil Constitutionnel sera saisi en ce sens.
Article 10
L’article 10 introduit la revalorisation des minima de pension de base du régime général et des régimes agricoles, une mesure qui en réalité demeure en trompe-l’œil. La prétendue retraite minimale à 1 200 euros a fait l’objet d’une communication appuyée par le Gouvernement mais dont l’effectivité en pratique sera plus bien restreinte qu’annoncée. Le flou de la mesure a notamment été relevé par l’économiste Michaël Zemmour qui pointe une revalorisation du minimum contributif comprise entre 50 et 100 euros mais pas de garantie d’un montant minimal. De 2 millions de personnes initialement concernées aux dires du ministre du travail lui-même, on en est aujourd’hui à 10 ou 20 000, toujours selon lui !
Cette communication trompeuse a permis à l’exécutif d’enrober sa réforme de mesures prétendument bénéfiques à destination des Français. C’est une méthode fallacieuse que le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain a dénoncé au cours des débats et par des amendements, défendus malgré leur rejet d’office par l’application de l’article 44 alinéa 3 de la Constitution.
Article 11
Cet article permet l’attribution de trimestres pour les stages de Travaux d’Utilité Collective (TUC). Ces « TUC » sont légataires des anciens « emplois subventionnés » connus auparavant, permettant l’insertion professionnelle des jeunes en situation d’inactivité et de chômage. C’est une disposition relativement consensuelle, déjà portée par les groupes de gauche et introduite donc par le Gouvernement pour que les périodes de « TUC » soient prises en compte dans l’établissement des droits à la retraite. C’est une mesure inspirée par une « mission Flash » de l’Assemblée Nationale, codirigée par le député socialiste Arthur Delaporte.
Le sénateur Montaugé a soutenu un sous-amendement pour que soit établi un rapport sur la faisabilité de ce même dispositif pour les apprentis ayant commencé avant 2014 (voir son intervention ICI) et avec attribution de trimestres.
Article 11 Bis
Répondant à l’appel des groupes de gauche, le Gouvernement a retenu un amendement (devenu article additionnel) rendant possible la validation de trimestres supplémentaires pour les sapeurs-pompiers volontaires. Le sénateur Franck Montaugé avait co-signé un amendement (examiné à l’Article 7) permettant de garantir le classement en catégorie active de tous les sapeurs-pompiers professionnels. Ce dispositif aurait permis aux bénéficiaires de faire valoir leurs droits à retraites dès 57 ans mais fut rejeté par la droite sénatoriale.
Faisant suite aux propositions de tous les groupes de l’hémicycle, le Gouvernement a ici accepté d’améliorer la situation du personnel volontaire des services d’incendie et de secours. La mesure permet d’instaurer une bonification sous la forme de l’attribution de trois trimestres au bout de dix ans d’engagement.
Article 12
Cet article est relatif aux aidants de personnes en situation d’handicap ou en perte d’autonomie, et aux parents d’enfants malades. Ces situations sont difficiles d’un point de vue d’abord strictement personnel et familial mais le manque d’accompagnement par les pouvoirs publics peut aussi faire peser une charge supplémentaire sur le statut d’aidant. Il est donc nécessaire d’améliorer leurs droits et l’accompagnement, malgré des situations très individualisées.
Le dispositif proposé reste cependant une réécriture de celui existant actuellement. Un nombre très limité de critères d’ouverture des droits est ajouté et concerne certains cas d’aidants de personnes reconnues handicapées avant l’âge de 60 ans. Par l’intermédiaire de la cheffe de file Monique Lubin, le groupe SER a défendu un élargissement des critères d’affiliation aux régimes d’assurance vieillesse pour les aidants de personnes âgées et pour tous les aidants de personnes handicapées sans condition limitative. L’amendement n’a pas été retenu par le Gouvernement lors de l’application de l’article 44 alinéa 3.
Article 13
L’article 13 traite de la transition entre emploi et retraite et revient donc sur des mesures comme les retraites progressives. Pour les salariés approchant de l’âge d’ouverture des droits à la retraite, ce dispositif permet de continuer un travail en temps partiel tout en bénéficiant d’une fraction de leur pension jusqu’à leur départ effectif. C’est un système différent du cumul-emploi retraite qui favorise surtout les emplois de cadres, non-pénibles, pour lesquels travailler après 64 ans est a priori physiquement possible.
L’enjeu de la retraite progressive est d’autant plus important au vu du recul de l’âge d’ouverture des droits à la retraites à 64 ans. Le groupe SER a ainsi plaidé pour un élargissement du dispositif, permettant aux salariés exerçant un métier manuel de bénéficier d’une retraite progressive facilitée.
Les amendements SER n’ont pas été retenus à l’occasion de la procédure de l’article 44 alinéa 3 de la Constitution.
Article 14
La série des articles 14 à 20 parachèvent les dispositions d’équilibres, introduites par l’article liminaire et l’article 4. L’article 14 est en particulier relatif aux dépenses de la branche « Maladie / Maternité / Invalidité et Décès » de la Sécurité Sociale. Il est la conséquence d’un arbitrage économétrique biaisé du Gouvernement, mis en exergue dans l’étude d’impact annexée au projet de loi. Ce document d’analyse ne prend pas en compte les futures dépenses liées aux arrêts maladie que provoqueront le recul de l’âge d’ouverture des droits à la retraite (voir l’article 6). Le sénateur Montaugé s’est donc opposé à la validation de cet objectif de dépenses et a défendu un amendement de suppression (lire son intervention complète ICI).
Article 15
L’Article 15 fixe l’objectif national de dépenses d’assurance maladie (ONDAM) de l’ensemble des régimes obligatoires de base de la Sécurité Sociale. Il est foncièrement sous-évalué, ne tenant pas compte de dépenses nécessaires pour résorber les zones sous-dotées (déserts médicaux) ou pour améliorer la prise en charge à l’hôpital. La logique de rationalisation des dépenses réduit la qualité de prise en charge au détriment de la volonté des soignants qui s’éloignent de plus en plus du métier et de la relation au patient ou à l’usager pourtant fondamentale.
Les déficits de notre système de santé sont ignorés par le Gouvernement qui ne s’attache qu’à des mesures de forme qui ne sont pas à la hauteur de l’enjeu. Le sénateur Franck Montaugé a donc refusé de valider cet ONDAM (voir son intervention ICI).
Article 16
Ce sont ici les objectifs de dépenses pour la branche « Accidents du travail » de la Sécurité Sociale. Le sénateur Montaugé rejette la volonté de régression sociale du Gouvernement qui ne donne que trop peu d’importance aux métiers pénibles et à leurs conséquences sur les salariés. Il défend au contraire un concept de « santé globale » permettant la prévention et le traitement les plus larges possible des accidents du travail et des maladies professionnelles. Le dialogue avec les représentants professionnels et les institutions de santé doit en ce sens être renforcé. Franck Montaugé a donc défendu le rejet de cet article 16 (lire l’intervention complète ICI).
Article 17
L’article 17 fixe les objectifs de dépenses d’assurance de la branche « Famille » de la Sécurité Sociale. Les politiques publiques en la matière sont trop peu attachées à accompagner les situations des plus précaires, notamment les familles monoparentales ou les revenus très modestes. La famille en tant que telle n’est plus l’objet de mesures concrètes et n’est pas assez l’objet d’une action publique spécifique. Elle est pourtant le support du pacte social, la fondation essentielle du vivre ensemble. Les pouvoirs publics doivent protéger et renforcer leur « pouvoir de vivre ». Le sénateur Montaugé a donc demandé la suppression de cet article (lire son intervention ICI).
Article 18
L’article 18 détermine les objectifs de dépenses d’assurance de la branche « Autonomie » de la Sécurité Sociale. Le sénateur Franck Montaugé regrette une trop faible prise en considération des enjeux actuels de notre société, liés à la dépendance, à la perte d’autonomie ou à la fin de vie.
Ces problématiques ont pourtant été annoncées comme prioritaires mais rien ne s’en est suivi ; le Gouvernement restant apparemment attaché aux effets d’annonces. Les territoires sont pourtant engagés pour accompagner les personnes en situation de perte d’autonomie, par l’intermédiaire des CCAS (centres communaux d’action sociale) et CIAS (centre intercommunaux d’action sociale) ou de l’action des conseils départementaux. Le sénateur Montaugé a ainsi demandé à l’exécutif de prendre ses responsabilités (voir son intervention ICI) dans sa défense d’amendement.
Article 19
L’article 19 arrête les prévisions des charges des organismes concourant au financement des régimes obligatoires de la Sécurité Sociale. Le Gouvernement souhaite « normaliser » la situation financière de la Sécurité Sociale au regard de la situation sanitaire, sans expliquer concrètement à quoi cela correspond. Plutôt que de normalisation financière il s’agit de renforcer ce qui est nécessaire dans tous les domaines. Constatant que : « les projections financières ne sont pas à la hauteur des besoins », le sénateur Montaugé s’y est par conséquent opposé (voir son intervention ICI).
Article 20
L’ultime article du projet de réforme détermine les objectifs de dépenses pour la branche « Vieillesse ». C’est le point névralgique de ce projet de réforme, qui fait peser les économies voulues par l’exécutif sur l’allongement du temps de travail. Les groupes de gauche s’y sont donc une nouvelle fois opposés, sachant qu’à l’issue des défenses de leurs amendements, le vote unique sur l’ensemble du texte actera l’adoption – ou non – du projet de loi.
Le projet de réforme des retraites a été adopté à l’issue, par 195 voix contre 112. L’opposition de Franck Montaugé et des groupes de gauche aura permis la prise en compte de certaines dispositions mais la procédure dite de « vote bloqué » aura empêché l’opposition de s’exprimer pleinement.
Par l’intermédiaire de la cheffe de file Monique Lubin (extrait d’intervention ci-après), le groupe SER réitère son opposition à cette réforme injuste. Le vote de la Commission Mixte Paritaire jeudi 16 mars 2023 sera déterminant pour la suite de la réforme.
« Merci tout d’abord à tous ceux qui ont travaillé très dur sur ce texte : aux rapporteurs, à la présidente de la commission, à l’administration du Sénat et à l’ensemble de nos collaborateurs. Vous avez réalisé un extraordinaire travail de fond.
Mais cette journée restera une journée noire pour tous les salariés de ce pays. Nous savons que vous allez voter cette réforme car nous savons que le Gouvernement a négocié et s’est soumis au Sénat, pour donner un minimum de légitimité à son texte.
Vous avez voulu faire peur aux Français en disant que le système des retraites était en faillite. C’est faux !
Votre réforme est idéologique. Vous n’avez pas aimé la retraite à 60 ans. Vous n’aimez pas les 35 heures, ni tout ce qui permet d’asservir un peu moins les salariés.
Votre réforme est injuste pour ceux qui s’apprêtaient à partir à la retraite, pour ceux qui exercent les métiers les plus difficiles, pour les salariés les plus modestes. »