Mercredi 21 novembre, le sénateur du Gers Franck Montaugé a pris la parole dans le cadre du débat d’initiative sénatoriale organisé sur le thème de « La ruralité, une chance pour la France ». Voici le texte de son intervention:
“Dans cette chambre haute qui représente au Parlement les territoires, le thème de ce débat sonne à la fois comme une espérance, une nécessité et une ambition politique. Disons-le sans ambages, la Nation se délitera, le pays se balkanisera si l’on continue à tout miser sur les métropoles de notre pays pour répondre aux attentes de nos concitoyens vivant en zones rurales.
Et je rajoute qu’il nous faut aussi des métropoles dynamiques à taille européenne pour être présents dans la compétition internationale. Dit autrement: Quelle place entendons-nous donner aux ruralités françaises pour la création de richesse économique, sociale, environnementale et culturelle, pour un développement durable dont le bien-être de chacun et l’intérêt général national doivent être les motifs premiers ?
La semaine dernière et dans le cadre d’une procédure un peu surprenante, vous nous avez soumis Mme la Ministre, une proposition de loi relative à la création d’une « agence nationale de la cohésion territoriale » (ANCT) qui laisse comprendre que le Gouvernement porte une ambition politique en matière de cohésion des territoires.
Sur le fond, ce texte technique a davantage traité la question du « comment » que celle du « quoi » ou du « pourquoi ». Nous avons été nombreux ici à regretter que le remarquable travail du commissaire général à l’Egalité des territoires, M. Morvan, ne soit pas exploité ou ne constitue pas le point d’entrée d’un vaste débat national sur la place et le rôle des ruralités en France (lire ici le rapport Morvan).
Pour l’avoir vécu en tant que responsables d’exécutifs locaux hier et de sénateur aujourd’hui, je tiens à souligner la qualité du travail qui est mené par le CGET pour les contrats de ville, l’Anru pour le renouvellement urbain. Nous jugerons dans la longue durée les effets de ces politiques, mais je pense que les principes structurants retenus sont adaptés aux enjeux.
Mais dans la ruralité comme ailleurs, c’est l’économie qui fait la vitalité, le dynamisme du territoire. Tout au long des décennies passées, la productivité agricole a fait son œuvre et si l’objectif d’autosuffisance alimentaire à coût abordable pour le consommateur a été atteint, c’est au prix d’un double sacrifice, celui du revenu pour les agriculteurs et celui de la démographie pour les territoires. Dans notre République où l’attachement des Français à l’égalité et à la justice se manifeste comme en ce moment de manière préoccupante, le darwinisme territorial et social n’est pas une option. Le sentiment d’abandon est une réalité dans beaucoup de campagnes.
Mais que disait le Président de la République en juillet dernier au congrès de Versailles ? Il en appelait à, je cite, une réorganisation de l’État à travers plus de présence sur les territoires, il disait, je cite toujours, que … surtout il faut enrayer un mode d’action publique qui a toujours procédé aux économies en réduisant sa présence sur les territoires. Il nous disait croire à, je cite encore, l’installation de nouveaux projets, d’un rééquilibrage des territoires, par l’installation d’activités économiques, accompagnées, aménagées avec l’ensemble des élus locaux par le Gouvernement et celle d’un accompagnement des services de l’État dans le cadre de ce projet.
Sur le terrain, en réalité, nous constatons trop souvent l’inverse. Et tout ou presque reste à faire! Dans quelques temps, nous allons discuter ici une loi sur les mobilités. Il faut que des réponses concrètes soient apportées aux Français des territoires ruraux qui sont captifs de la voiture et qui le resteront pour vivre au quotidien. Je mesure aussi tous les jours cet enjeu au contact des entreprises installées dans le Gers ou qui voudraient s’y installer. Les voies rapides et le rail restent des infrastructures majeures pour le développement économique et social. Et il faut que l’État termine le plus vite possible les routes nationales par lesquelles l’influence métropolitaine vitalise les territoires ruraux.
A partir de là mes questions sont simples Mme la Ministre. Quelle est votre conception de la «justice spatiale*» ? Quelle est votre définition de la cohésion des territoires ? Sur quels critères la fondez-vous ? Comment concrètement doit se manifester la solidarité réciproque entre des territoires aux dynamiques très dissemblables, par exemple entre les métropoles et leurs zones rurales d’influence directe ou plus lointaine ? Quel rôle l’État doit-il jouer, dans le respect des principes de la décentralisation ? Souscrivez-vous à tout ou partie des propositions du rapport Morvan?
En résumé, quels sont vos objectifs quantifiés pour gagner en cohésion territoriale? Quelle est votre stratégie pour y parvenir et en suivant quel calendrier? Quel processus au fil de l’eau prévoyez-vous pour évaluer l’efficacité de cette politique de cohésion des territoires ? Avec quelle implication des élus et des citoyens ? Les élus locaux, ceux des campagnes tout particulièrement, désespèrent de pouvoir mener une action publique efficace et reconnue par leurs administrés. Ils ont besoin de respect, de visibilité, de stabilité, de moyens financiers propres et d’accompagnements divers dont celui de l’État n’est pas le moindre.
En conclusion, pour que la ruralité soit une chance pour la France, je vous invite sans tarder à nous soumettre un projet de loi de programmation visant à la reconnaissance et au développement des ruralités françaises.
*Justice spatiale : concept qui fait l’objet de recherches et de développements dans le champ de la géographie politique. Voir par exemple « Théorie de la justice spatiale » du géographe Jacques Lévy.