Au terme de plus 6 mois de travaux d’auditions et d’analyse (1), la commission d’enquête sénatoriale présidée par Franck Montaugé et dont le rapporteur (LR) est Gérard Longuet vient de rendre ses conclusions (lire ici). C’est un rapport informatif et pédagogique, assorti de propositions offensives pour relever les défis du numérique dans notre pays, qui a été présenté jeudi à la presse nationale.
Comme Franck Montaugé l’a rappelé « le développement du numérique affecte nos sociétés en profondeur. C’est dans un nouvel âge du capitalisme que nous sommes entrés et la France, dans le cadre de l’Union européenne, doit pouvoir rivaliser avec les USA, la Chine… et protéger ses intérêts. Il est encore temps ! La souveraineté de l’État français, la compétitivité de notre économie et la place de nos concitoyens dans ce nouveau monde doivent être questionnés», dit-il.
L’urgence pour la France c’est bien la conquête de sa souveraineté numérique et l’affirmation de ses valeurs. Le sénateur Montaugé estime que « le Gouvernement doit mener une politique numérique plus ambitieuse dans ses dimensions institutionnelle, économique, territoriale et citoyenne ». Faisant le constat que la politique de l’Etat dans ce domaine est éparse et qu’elle manque de lisibilité comme de globalité, « la commission propose de débattre sans tarder d’une loi d’orientation et de suivi de la souveraineté numérique qui serait discutée et évaluée tous les 3 ans sur la base de travaux alimentés par un forum institutionnel du numérique (d’une durée limitée à 2 ans) dont nous proposons la création en substitution du Conseil national du numérique », poursuit M. Montaugé. L’idée est ici d’impliquer directement le Parlement français dans le suivi et l’évaluation des politiques publiques liées au numérique.
Les États membres doivent également s’entendre pour réaffirmer fermement leurs pouvoirs régaliens, pour contrecarrer certains projets des GAFAM, avec notamment la création d’une monnaie numérique européenne, le développement des systèmes numériques de paiement, l’interdiction de toute justice privée, la défense de nos entreprises contre l’extraterritorialité des lois, et la maitrise des identités numériques.
Le développement dans les territoires d’une politique stratégique d’implantation des « datacenters » est essentiel pour lutter contre la captation des données sensibles par les Gafam et autres. « La question des données personnelles des citoyens et des entreprises est en effet au cœur de nos préoccupations, explique Franck Montaugé. Leur protection doit être renforcée notamment dans le cadre d’une évolution du RGPD. Il faut améliorer le dispositif de consentement aux cookies et mieux alerter les internautes sur les risques liés à l’exploitation de leurs données. Dans le même esprit, dit-il, les citoyens doivent pouvoir disposer, par l’intermédiaire de l’État le cas échéant, des informations et garanties relatives aux critères de traitement par algorithmes de leurs données. La neutralité des réseaux doit être effective et celle des terminaux portables doit devenir un objectif majeur. La question de l’accès public ou de la protection de certaines catégories de données – on pense aux données scientifiques ou aux données personnelles santé par exemple – doivent être garantis par l’Etat. »
La portabilité des données personnelles doit par ailleurs être effective dans le cadre du RGPD. Pour éviter les usages captifs, une nouvelle étape doit aussi être franchie en rendant les systèmes de plateformes interopérables pour des services de même nature. C’est un moyen de lutter comme contre les constitution de monopoles propre à cette économie des données. Si le rapport préconise des mesures de régulation pour agir notamment sur la concentration des acteurs, à l’échelle européenne notamment, il est essentiel que la France puisse rester maître de l’architecture et des briques logicielles des applications à caractère sensible ou stratégique (serveurs, data, logiciel) qu’elle utilise. Pour cela il faut investir massivement et valoriser la recherche publique tout en facilitant les relations avec la recherche privée. Il faut miser sur l’enseignement supérieur et la formation, et prendre des mesures radicales pour éviter la fuite de nos étudiants et chercheurs. La question de l’accès et du développement du capital-risque est aussi cruciale pour que les entreprises européennes puissent accéder au statut de « Licorne » nécessaire dans la compétitivité mondiale.
« Enfin, conclut Franck Montaugé, c’est un point que le rapport n’aborde pas mais il est évident qu’il faut s’interroger sur les bouleversements sociétaux : relation au travail, développement des nouveaux liens sociaux, mise en cause de notre modèle démocratique. Cela nécessite de repenser l’éducation des jeunes générations, de construire notre vision de la citoyenneté à l’ère du numérique. Notre conviction est que la France doit faire vivre ses valeurs républicaines et démocratiques et les porter dans ce nouveau monde. »
1 — 55 auditions ont été réalisées par la commission (cinq à huis clos et cinq membres du Gouvernement auditionnés) pour un total de 70 heures.
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