Invité à participer à une table ronde du FIC* consacrée au thème de « La souveraineté à l’ère du numérique », le sénateur Montaugé a abordé la dimension institutionnelle de ce sujet à partir du concept de « souveraineté nationale ».
Dans le prolongement des travaux de la commission d’enquête sénatoriale qu’il a présidée en 2019, Franck Montaugé a justifié la nécessité d’un débat public national, ouvert à tous les acteurs de la société, qui serait suivi du vote d’une loi d’orientation et de suivi de la souveraineté à l’ère du numérique.
Ci-après, le texte de son intervention : « La souveraineté à l’ère du numérique », FIC 2022, le 9 juin 2022, table-ronde, Lille, Grand Palais.
« D’abord je trouve que le thème de cette table-ronde est bien posé. La « souveraineté à l’ère du numérique » ce n’est pas la même chose que « la souveraineté numérique ». Dans une décision de 1976 le Conseil Constitutionnel précise d’ailleurs que « la souveraineté ne peut être que nationale ». Ce que nos institutions doivent permettre de garantir ou de faire progresser c’est la « souveraineté nationale » telle que définie dans la Constitution de la 5ème République. Elle « appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants et par la voie du référendum ».
Souvent dans les discours, plus que de « souveraineté » il s’agit d’ « indépendance » ou d’ « autonomie », stratégique ou pas. Et si le concept de « souveraineté numérique » est inapproprié, il est évident qu’à l’ère du numérique la souveraineté nationale doit prendre en compte ce « fait social total ». Le fait-elle ? Oui. Le fait-elle de manière satisfaisante, à la hauteur des enjeux identifiés ? Non. Et c’est tout le sens du travail de la commission d’enquête sénatoriale que j’ai eu l’honneur de présider en 2019.
La commission d’enquête sénatoriale a posé la problématique de la souveraineté nationale à l’ère du numérique à partir des 3 questions suivantes :
- Comment conserver une capacité autonome d’analyse, d’appréciation, de décision et d’action pour les États dans le cyberespace ?
- Comment garantir une autonomie informationnelle suffisante à nos concitoyens, nos entreprises … ?
- Comment garantir l’intégrité des processus démocratiques et le respect du droit ?
A ces questions doivent être apportés des éléments de réponses que nous avons complétés de 5 recommandations.
Mais le temps nous étant compté je voudrais centrer mon propos sur la première recommandation que nous avons formulée et que je qualifierai d’institutionnelle. Nous avons constaté une absence de stratégie de l’État en matière de politique publique du numérique ou tout du moins d’une stratégie lisible de l’État dans ce domaine.
La loi votée en 2016 pour une République numérique prévoyait la publication d’un rapport relatif à la création d’un commissariat national au numérique. Il a été rédigé mais n’a jamais été publié et les Gouvernements ne lui ont donné aucune suite. Et nous avions, rattaché au ministère de l’économie, un « modeste » secrétariat d’État dont la compétence du titulaire au cours du quinquennat précédent n’est pas en cause je tiens à la préciser. Depuis la constitution du dernier Gouvernement, le ministre de l’économie et des finances est explicitement « en charge de la souveraineté industrielle et numérique ». Nous verrons quels changements cela induit pour notre pays en matière de politique publique du numérique.
Ce que notre commission a proposé c’est une méthode et un processus législatif pour que les acteurs de la société et la représentation nationale soient pleinement impliqués dans ce sujet qui englobe tous les aspects de la vie et qui engage notre souveraineté nationale effective. La méthode consisterait à créer un « Forum Institutionnel du Numérique » (FIN) à partir duquel serait discutée et votée une « loi d’orientation et de suivi de la souveraineté numérique » (LOSSN).
Il est indispensable que la représentation nationale soit impliquée très directement dans la discussion, le vote et l’évaluation des politiques publiques spécifiques au numérique ou dont le numérique contribue sensiblement aux performances du pays. Le FIN permettrait de mettre en présence les ministères, les collectivités locales, les industriels, les universitaires, les acteurs publics et privés. L’ensemble des forces vives du pays devraient être associées institutionnellement à cette démarche, en amont et en aval du vote et des évaluations de la loi. Le FIN pourrait s’appuyer sur le conseil national du numérique (CNNum). Le citoyen devrait y trouver sa juste place. La commission nationale pour le débat public (CNDP) pourrait être utilement mobilisée à ce sujet. Et je précise que cette démarche institutionnelle, pour être pertinente au regard de l’enjeu de la souveraineté nationale, devrait prendre en compte les initiatives et politiques européennes en matière de numérique comme les directives, les règlements, les « projets importants d’intérêt économique commun » (PIIEC) en cours ou à venir.
Sur la base d’évaluations sérieuses, dans les champs de l’économie, de la Défense nationale, du droit et de citoyenneté, de la fiscalité, de la culture et de l’éducation, de l’identité et des cryptomonnaies, la représentation nationale doit pouvoir se prononcer factuellement sur les conséquences de l’application des directives et règlements émis par l’Union Européenne qui affectent la souveraineté française. Pour illustrer le propos, notre commission d’enquête – comme certaines propositions de lois votées au sénat et non reprises par l’Assemblée nationale – demandaient d’instaurer la portabilité des données, l’interopérabilité des plateformes, l’interdiction des « dark patterns », une neutralité effective des terminaux, la régulation par la donnée et le renforcement des autorités de contrôle (Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse « ARCEP », Autorité de la Concurrence), l’auditabilité des algorithmes etc… choses que le Digital Services Act (DSA) et le Digital Markets Act (DMA), l’Artificial Intelligence Act (AI Act) etc… abordent !
Pour terminer, j’ai noté que le Président de la République a émis l’idée d’un « conseil national de la refondation ». Je pense que cette instance doit être structurée à partir de l’enjeu majeur que représente la souveraineté nationale, à l’ère du numérique et de l’émergence d’une mondialisation en transition pour des raisons multiples dont le numérique n’est pas la moindre. L’ensemble des catégories d’acteurs de la société devront y être associées afin de contribuer à l’émergence ou à un regain de confiance dans les institutions et les processus parties prenantes de la souveraineté nationale. »
(*) Forum International de la Cybersécurité qui se tient tous les ans à Lille