En mars 2018 le sénateur du Gers Franck Montaugé avaient présenté deux propositions de loi pour améliorer la qualité du travail législatif. Le premier texte (voir ici) visait à améliorer les études d’impact et avait été voté après amendement de la commission par le sénat puis transmis à l’Assemblée nationale. Le second (voir ici) proposait un cadre organisationnel et les principes d’un processus pour évaluer l’efficacité des politique publiques. Il avait été au cours de la séance renvoyé en commission pour y être rediscuté.
La commission des lois ne l’ayant pas repris au cours de l’année passée, Franck Montaugé a présenté et défendu mardi 7 mai dernier sur ce même thème une proposition de résolution visant à modifier le règlement intérieur du Sénat. “La proposition de résolution dont nous allons débattre ce soir marque une étape supplémentaire dans l’approfondissement par notre assemblée du processus de contrôle et d’évaluation des lois que nous votons régulièrement. Ce texte prolonge les travaux que nous avions menés en mars 2018 en présentant deux propositions de loi”, explique Franck Montaugé.
“La première proposition était relative à l’amélioration des études d’impact des lois (lire ici), poursuit le sénateur du Gers. Après amendement en commission et donc en retrait par rapport aux ambitions du texte initial, le débat s’était conclu par un vote permettant de confier les études d’impact à des cabinets indépendants choisis sur une liste définie par décret en Conseil d’Etat. Transmis à l’Assemblée nationale, ce texte n’a pas à ce jour été repris.”
“La seconde proposition (lire ici) prévoyait la création d’un « conseil parlementaire d’évaluation des politiques publiques et du bien-être » et la mise en œuvre d’une démarche scientifiquement structurée d’évaluation des politiques publiques, ouverte à la participation effective des citoyens par des moyens appropriés. Jugée trop complexe dans son contenu, la proposition de loi a été renvoyée en commission pour y être rediscutée.”
“Ne l’ayant pas été depuis un an, nous avons souhaité avec Jean-Pierre Sueur, Marc Daunis, Patrick Kanner et les membres du groupe Socialiste et Républicain, clore cette séquence de travail sur les fonctions du législateur par une proposition de modification du règlement intérieur de notre assemblée qui nous permette d’être plus efficace dans le contrôle de l’application de la loi, l’évaluation de ses effets et plus généralement des politiques publiques, comme nous y enjoint l’article 24 de la Constitution. En effet, si le Parlement contrôle et évalue les politiques publiques de différentes manières et notamment par l’instauration d’un temps réservé dans l’ordre du jour, par la possibilité de contrôle « sur pièces et sur place », par les commissions d’enquête sur un sujet donné et par les questions posées aux membres du Gouvernement, le contrôle de l’application des lois votées et promulguées peut être amélioré.”
“Il est ainsi fréquent que les décrets et autres textes réglementaires nécessaires à l’application effective des lois soient publiés très tardivement et, parfois, ne le soient pas. Et qu’en est-il de l’application sur le terrain, dans les territoires, de lois dont l’esprit initial voulu par le législateur s’est transformé et parfois perdu en chemin, dans la chaîne administrative des interprétations ? Cet état de choses n’est pas acceptable, puisque la loi votée s’impose à toutes et tous et qu’elle doit pouvoir s’appliquer dans des délais rapides dès lors qu’elle a été promulguée.”
“Notre proposition de résolution initiale visait à compléter l’article 19 du règlement pour confier au rapporteur d’un projet ou d’une proposition de loi la responsabilité d’assurer le suivi de son application une fois le texte promulgué, en présentant chaque année, sous forme écrite et orale, une communication devant la commission saisie au fond présentant l’état de la mise en application de la loi promulguée, et notamment de la publication des textes d’application qu’elle appelle. Nous proposions donc l’instauration d’un droit de suite du rapporteur d’un projet ou d’une proposition de loi.
“A partir du rapport de M. Philippe Bonnecarrère dont je veux ici souligner la qualité du travail et la cordialité pour m’avoir permis de participer aux auditions, la commission des lois a jugé que ce droit de suite serait bienvenu, qu’il renforcerait utilement le suivi de l’application des lois mais qu’il devait être assoupli. Sur ce point, les dispositions retenues par la commission des lois ne dénaturent pas la proposition initiale. Sur cette base, et si nous en décidons aujourd’hui, le rapporteur sera chargé de suivre l’application de la loi après sa promulgation et jusqu’au renouvellement du Sénat. Il pourra être confirmé dans ces fonctions à l’issue du renouvellement. Les commissions permanentes pourront désigner, dans les mêmes conditions, un autre rapporteur à cette fin. Et dans le cas de projet ou de proposition de loi examiné par une commission spéciale, les commissions permanentes pourront désigner, dans les mêmes conditions, un rapporteur pour assurer le suivi de l’application des dispositions relevant de leur domaine de compétence.”
“Pour ce qui est de la mission d’évaluation des politiques publiques, notre position initiale n’a par contre pas pu être conciliée avec celle de la commission. Nous proposions de faire figurer de manière explicite le concept d’ « évaluation de la loi » dans le règlement, dans le prolongement de celui relatif au « suivi de l’application de la loi». La commission a jugé que le Parlement dispose d’une mission plus large d’évaluation des politiques publiques qui relève déjà des commissions permanentes (article 22 du règlement du Sénat). C’est indéniable mais qu’en fait-on en pratique ?”
“Que l’évaluation des politiques publiques se distingue du suivi de l’application des lois c’est certain, et reconnaissons qu’en toute logique on peut difficilement faire de l’évaluation sans passer d’abord par un bilan préalable de l’application des lois . La commission fonde aussi sa position sur le fait que l’évaluation est plus exigeante, qu’elle demande davantage de recul, qu’elle s’inscrit dans une démarche collective nécessitant la planification et la mobilisation de moyens spécifiques. Et que si le rapporteur du projet ou de la proposition de loi peut y participer, il peut difficilement en être le seul acteur. Tout à fait d’accord, je partage ces remarques et c’était bien le sens de la proposition de loi renvoyée il y a un an en commission qui proposait un cadre, un dispositif, un processus d’évaluation des politiques publiques… et pas seulement des lois, je le précise. Mais c’est vrai que de nombreuses réflexions sont en cours pour renforcer les capacités d’évaluation du Parlement … dont celle consistant à dire que 20 à 30% de parlementaires en moins permettra de mieux répondre aux exigences constitutionnelles actuelles ! (sic) Au regard de nos pratiques en matière d’évaluation des politiques publiques, je dois dire que ça me laisse pour le moins songeur !”
“Différents groupes du sénat dont le mien et celui conduit par le Président Larcher ont formulé, dans le cadre du projet de révision constitutionnelle présenté mi-2018, des propositions qui vont dans le sens d’une structuration de ce travail d’évaluation des politiques publiques. Je m’en réjouis, et parce que ce point est essentiel à mes yeux je vous proposerai un amendement à l’article premier permettant de prendre en compte les remarques de la commission, pour que ne disparaisse pas purement et simplement de la proposition de modification de notre règlement « l’évaluation des effets de la loi ».”
“Sans préjuger de l’organisation et des moyens internes au Sénat permettant d’y pourvoir et en tenant compte, c’est un point important, des préconisations du Conseil d’État rappelées par son vice-président Jean-Marc Sauve en 2017 devant le groupe de travail de l’Assemblée nationale sur les moyens d’évaluation et de contrôle du Parlement, je vous proposerai que soit inséré à l’article 19 du règlement du Sénat l’alinea suivant: « … dans les 2 ans suivant la promulgation de la loi le rapporteur présente devant la commission une évaluation des premiers effets de la loi qui lui paraissent les plus significatifs. Dans les cinq ans après la promulgation de la loi, il doit être en mesure de présenter une évaluation complète de ses effets. Cette évaluation est effectuée au regard des motifs et de l’étude d’impact initiale de la loi. Elle prend en compte les effets de la loi sur les indicateurs de richesse légalement en vigueur et les objectifs de développement durable que la France met en œuvre dans le cadre de ses engagements internationaux pour le climat et le développement. Elle indique les effets de la loi sur la trajectoire des finances publiques. »
“Voilà ! Si vous adoptez cet amendement nous aurons fait un petit pas de plus vers l’évaluation des politiques publiques, conclut Franck Montaugé. Si ce n’est pas le cas, la question restera entière. J’ai bien conscience que le sujet est très complexe et je constate qu’il y a beaucoup de frilosité à s’y engager. Je crois cependant que le temps est venu ! Que nous sommes attendus là-dessus et qu’il peut en résulter pour nos concitoyens, pour nos territoires et en lien avec eux, un lien à inventer, une amélioration de notre fonction institutionnelle de représentation. C’était là tout le sens de mon engagement et de ma motivation à vous proposer ce travail.”
Un travail que le Sénat a unanimement salué en adoptant cette résolution par 325 voix sur 325 voix exprimées.