L’article 24 de la Constitution de la Ve République indique que « le Parlement vote la loi. Il contrôle l’action du Gouvernement. Il évalue les politiques publiques… Dans ce cadre et au regard de la pratique parlementaire que j’ai pu observer et à laquelle je contribue, j’ai pensé utile de faire des propositions pour améliorer la fabrique de la loi et l’évaluation des politiques publiques.
Dans le cadre de l’ordre du jour réservé à mon groupe j’ai défendu mercredi 7 mars, deux propositions de loi répondant à ces objectifs. Le premier texte est une proposition de loi organique visant à « améliorer la qualité des études d’impact des projets de loi », le second, lié au premier, vise à instituer un « conseil parlementaire d’évaluation des politiques publiques et du bien-être » (téléchargez ici le résumé des deux propositions de loi). Je vous propose aujourd’hui de reprendre les différentes étapes de ce travail pour vous expliquer la procédure et le cheminement de la fabrique de la loi.
L’intention initiale : « Produire des lois nécessaires en rapport avec les enjeux et les attentes de la société des citoyens, des lois dont les impacts sont évalués a priori avec des indicateurs adaptés qui ne se résument pas au seul PIB. Plus largement des lois qui s’inscrivent dans le champ de politiques publiques identifiées et donnant lieu de la part du législateur à des évaluations méthodiques et structurées. »
La première phase de mon travail a consisté à procéder à des auditions du monde académique (chercheurs et universitaires), d’organismes économiques, de directions de l’Etat (consultez ici les comptes-rendus d’auditions). La deuxième phase a consisté à rédiger les deux textes de loi. Deux textes parce que le traitement du sujet a nécessité de compléter l’organisation des pouvoirs publics en matière d’études d’impact (loi organique du 15 avril 2009), l’autre étant une loi dite ordinaire (le troisième type de loi étant la loi constitutionnelle, non concerné par ce travail). [Les textes de loi ici et ici]. La troisième phase a consisté à recueillir l’aval de mon groupe pour que ce travail ait une dimension collective et qu’il puisse être présenté, le moment venu, lors d’une séance publique réservée au groupe socialiste et Républicain (ce fut donc le 7 mars 2018).
Mon groupe ayant décidé de le soutenir, j’ai déposé les deux textes de loi sur le bureau du Sénat en juillet 2017. Mon groupe ayant décidé de l’inscrire à la séance du 7 mars 2018, la commission des lois du Sénat s’en est saisie « sur le fond » c’est-à-dire pour conduire son analyse en février 2018. D’autres commissions permanentes auraient pu s’en saisir « pour avis ». Elles ne l’ont pas fait et on peut s’en étonner notamment pour la commission du Développement durable qui travaille sur le système des « objectifs de développement durable » de l’ONU auquel la France a souscrit suite à la COP21 et qui doivent trouver une traduction dans l’évaluation de nos politiques publiques.
Comme le prévoit la Constitution depuis sa révision de 2008, c’est le texte « sorti » de la commission qui s’en est saisi sur le fond qui est soumis à amendement en séance et discuté en séance publique dans l’hémicycle. La commission des lois a nommé un rapporteur, Jean-Pierre Sueur, pour les deux textes et elle les a amendés lors de sa séance du 22 février 2018. Les modifications apportées par la commission des lois ont été les suivantes :
- L’article 1er prévoyant de réaliser les études d’impact en utilisant les nouveaux indicateurs de richesse de la loi dite SAS du 1er avril 2015 a été supprimé… malgré l’intérêt exprimé publiquement par le Premier ministre tout récemment à l’égard de ce nouveau type d’approche de l’évaluation (téléchargez l’édito du Premier ministre).
- La réalisation des études d’impact par des organismes indépendants choisis par décret en Conseil d’Etat, prévue dans mon second texte sur l’institution du conseil parlementaire d’évaluation des politiques publiques et du bien-être, a été introduit dans le premier texte. C’est une avancée importante compte tenu du fait que jusqu’ici c’est le Gouvernement, l’exécutif donc, qui réalise les études d’impact avec ses moyens propres. J’aurais préféré que les garanties de cette indépendance soient précisées, en imposant le caractère public et pluraliste de ces organismes et j’ai présenté un amendement pour aller dans ce sens qui a été rejeté.
- Autres modifications introduites par amendements du rapporteur en commission, l’intégration de deux propositions faites par le président du Sénat, Gérard Larcher, dans son rapport de propositions en vue de la réforme des institutions. Ces propositions viennent modifier l’article 8 de la loi organique de 2009 en demandant que l’évaluation indique les crédits, les emplois, la méthode de calcul retenue et les mises à niveau nécessaires en matière de systèmes d’information ainsi que le délai de mise en oeuvre de la loi. L’autre impose de préciser les apports de la loi projetée en matière de simplification des normes existantes et en cas de création de normes nouvelles les abrogations de normes induites.
La commission des lois ayant exprimé l’intention de rejeter le second texte au motif que des organisations du même type n’avaient pas par le passé donné de résultats probants en matière d’évaluation des politiques publiques, j’ai accepté avec le rapporteur d’envisager son renvoi devant les commissions pour poursuivre la réflexion. Avec Jean-Pierre Sueur je déposerai prochainement une proposition de résolution visant à modifier le règlement intérieur du Sénat pour que le rapporteur sur le fond d’une loi discutée au Sénat suive l’application de cette loi, quand elle est définitivement adoptée, pendant tout son mandat. Bien que modeste, ce serait un pas de plus vers l’implication effective du parlement, le Sénat en l’occurrence, dans le contrôle du gouvernement et l’évaluation des politiques publiques.
Le texte sur les études d’impact ainsi modifié par la commission des lois (lire ici) a donc été soumis au débat du 7 mars. Je l’ai présenté en tant qu’auteur de la loi et le rapporteur s’est ensuite exprimé (cliquer ici pour le compte-rendu des débats). Les représentants des groupes se sont exprimés ensuite dans le cadre de ce qu’on appelle la « discussion générale » et les amendements de séance (qui ne sont pas passés au préalable en commission) ont été présentés.
Au final, le texte a été adopté à l’unanimité dans le cadre d’un scrutin dit « public » au cours duquel tous les sénateurs sont appelés à s’exprimer par l’intermédiaire de leur groupe ou à titre individuel s’il ne souhaite pas suivre la position de leur groupe. Il est à noter que le Gouvernement, représenté au banc des ministres par le secrétaire d’Etat M. Dussopt, a émis un avis défavorable à l’égard des deux textes au motif que le projet de réforme institutionnelle que porte le Président de la République aborde les sujets de ces textes de loi. Nous verrons ce qu’il sort de la réforme en matière d’implication directe du Parlement dans les études d’impact et l’évaluation des politiques publiques mais je reste très dubitatif !
Pour le second texte, j’en ai fait la présentation en tant qu’auteur (voir la vidéo ici) et le rapporteur s’est exprimé pour proposer le renvoi en commission qui a été ensuite voté à l’unanimité également. Maintenant le texte voté va être transmis à l’Assemblée nationale qui s’en saisira éventuellement pour le faire prospérer. L’étape que nous venons de franchir au Sénat n’est que la première d’un long processus.
Au final et donc à ce stade du processus législatif, quelques progrès dans le sens que je souhaitais mais je constate de la réticence, une certaine frilosité de la majorité du Sénat pour se saisir de nouvelles méthodes d’évaluation qui renvoient aux enjeux divers du développement durable. Les parlementaires doivent monter en compétence sur ces sujets tout autant technique que politique qui touchent à la qualité de la loi et à l’efficacité de l’action publique. Associer les citoyens à ces processus d’évaluation reste indispensable, nous le proposions dans le second texte, il faudra y revenir.
Je ne crois pas que les échecs passés justifient de ne rien faire en la matière. Il y va aussi de notre responsabilité de parlementaire pour des missions que nous n’assumons que très imparfaitement. Enfin, le Parlement doit à mon sens se donner les moyens des missions que lui confie d’ores et déjà la Constitution. A l’annonce des intentions du Président de la République, je pense par exemple au contingentement du processus d’amendement, le risque est grand que le déséquilibre institutionnel que l’on constate aujourd’hui au profit de l’exécutif et au large détriment du législatif soit encore accentué. Raison de plus, me semble-t-il, pour que le Parlement se donne les moyens de penser et d’évaluer le plus rationnellement possible l’action publique. C’est aussi un enjeu démocratique d’importance !