Invité par Mme Nathalie Wolff, professeure de droit public à l’école Polytechnique et à l’université de Versailles-Saint Quentin, à présenter son travail sur les nouveaux indicateurs de richesse et l’évaluation des politiques publiques (lire ici), le sénateur Franck Montaugé a donné cette semaine une conférence sur le travail législatif devant des élèves de l’école Polytechnique qui se préparent à rentrer à l’ENA ou à intégrer les grands corps techniques de l’Etat (mines, ponts, etc.). « Avec la conseillère de mon groupe au Sénat, Mme Marielle Wargnies, nous avons eu plus de deux heures d’exposé et d’échanges pour faire comprendre en quoi consiste le travail du législateur et comment il peut être amélioré dans une perspective d’efficacité collective accrue et de démocratie améliorée. De nombreuses questions ont été soulevées aussi à propos des stratégies parlementaires pour faire aboutir un texte, des rapports exécutif-législatif, de l’organisation territoriale de la République dont la place et le rôle respectifs des différents échelons. »
« Cette conférence va me permettre de vous présenter la première étape des travaux que j’ai débutés il y a 18 mois, début 2016, sur un sujet de fond : l’usage des indicateurs de développement dans la conception, l’évaluation et le pilotage des politiques publiques », a expliqué dans son exposé liminaire le sénateur du Gers. « Ce sujet, rappelle en outre Franck Montaugé, a été abordé par le Président de la République le 3 juillet 2017 dans son discours devant le congrès, à propos de la qualité de la loi. De mon côté, dit-il, depuis 3 ans au Sénat et après être passé par l’Assemblée nationale, je fais le constat que des trois fonctions que prévoit la Constitution, – fabriquer la loi, contrôler le gouvernement et évaluer les politiques publiques-, les deux premières sont perfectibles et la troisième n’est pas, ou très peu, ou très imparfaitement exercée. »
« Le travail que je vous présente aujourd’hui entend donc contribuer à l’amélioration du travail parlementaire dans son ensemble tout en associant et c’est un point essentiel le citoyen, le monde associatif et universitaire à ce processus. Depuis plusieurs décennies, notre système de mesure des performances économiques est fondé trop exclusivement sur le PIB et il est régulièrement mis en cause. En France, le rapport de la commission sur la mesure de la performance économique et du progrès social coprésidée par les économistes Joseph Stiglitz, Jean-Paul Fitoussi et Amartya Sen et publié en 2009, a été une étape importante dans la reconnaissance des limites du PIB comme mesure du progrès des sociétés. »
« Qu’il s’agisse du ralentissement de la croissance, de la dégradation de sa qualité ou de son caractère socialement moins inclusif, il y a beaucoup d’éléments qui plaident en faveur de l’élaboration de nouveaux instruments de mesure plus signifiants et capables de rendre compte finalement de la soutenabilité à long terme de notre mode de production et de développement. Mais si la production de nouveaux indicateurs (par des universitaires, des ONG, des organismes statistiques, etc. sur le plan international, national ou local) est considérable dans tous les domaines (économiques, sociaux, environnementaux, culturels etc), ce que l’on constate c’est que leur utilisation à des fins d’action publique reste limitée. »
« Dans ce contexte, la loi « Sas » adoptée en 2015 a marqué une nouvelle étape importante avec la publication dans le cadre de la loi de finances de nouveaux indicateurs de richesse qui questionnent la qualité de la croissance (son degré d’inclusion sociale ; sa qualité environnementale ; sa soutenabilité sur le long terme…) et doivent permettre une évaluation différente des politiques publiques. Aujourd’hui la question qui nous est posée en tant que législateurs c’est comment aller plus loin dans une perspective d’efficacité politique accrue (c’est le volet institutionnel du sujet) et d’amélioration du débat public (c’est le volet démocratique du sujet : démocratie de participation en l’occurrence) ? »
« Un usage approprié d’indicateurs pertinents, significatifs des politiques publiques menées, ne serait-il pas de nature à faire progresser le pilotage de nos politiques publiques et le rapport aux citoyens à qui elles sont destinées ? Et à quelles conditions pour l’ensemble des acteurs concernés ? C’est à ces questions que le groupe de travail que j’ai piloté à partir de 2016 a répondu en procédant à treize auditions (18 experts auditionnés) et en proposant deux propositions de loi : une proposition de loi ordinaire visant à instaurer un Conseil parlementaire d’évaluation des politiques publique et du bien-être (3 articles), et une proposition de loi organique visant à améliorer la qualité des études d’impact jointes aux projets de loi (2 articles). Nous avons fait le choix stratégique de textes simples, posant des grands principes nous permettant de progresser en tant que législateurs, tout en intégrant le citoyen dans ce processus. Le contenu des deux textes est le suivant :
La proposition de loi ordinaire vise à instaurer un Conseil parlementaire d’évaluation des politiques publiques et du bien-être (3 articles). L’Article 1 prévoit que ce conseil soit constitué de 18 députés et de 18 sénateurs, assistés d’un comité scientifique, Il a pour mission d’informer le Parlement sur les conséquences des politiques publiques sur le bien-être des populations et sa soutenabilité. Il met en place et s’appuie sur une plateforme participative numérique relative aux nouveaux indicateurs de richesse (NIR) afin que les citoyens s’approprient les indicateurs alternatifs au PIB et fassent vivre le débat démocratique. Cette plateforme a pour objectif d’élaborer et de mettre en discussion citoyenne les nouveaux indicateurs afin de rétablir le lien entre politique et citoyens et d’attirer l’attention, notamment médiatique, sur l’état de la société à travers les grands enjeux démocratiques (cohésion sociale, inégalités, soutenabilité de la croissance…). À cet effet, le Conseil parlementaire d’évaluation des politiques publiques et du bien-être organise chaque année au Sénat une grande conférence citoyenne sur l’état des inégalités en France.
L’Article 2 s’appuie sur la loi Sas. Il prévoit un bilan d’évaluation des NIR par le Conseil parlementaire d’évaluation des politiques publiques et du bien-être. Et la Possibilité de compléter les indicateurs. Santé sociale (inégalités/précariat /degré de cohésion), soutenabilité (mesure du patrimoine national et responsabilité écologique de la France) 611/p14-15.
L’Article 3 Propose que le rapport issu de la « Sas » et remis par le gouvernement au Parlement puisse faire l’objet d’une contre-expertise indépendante. Cette contre-expertise pourrait être confiée à des organismes désignés par décret en conseil d’Etat comme l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), organisme indépendant de prévision, de recherche et d’évaluation des politiques publiques.
Le second texte est une proposition de loi organique dont l’objectif est d’améliorer la qualité des études d’impact jointes aux projets de loi (2 articles). L’article 1er propose que l’étude d’impact des projets de loi soit réalisée par des organismes publics indépendants, habilités à réaliser ce type d’études (INSEE, OFCE, CESE, Universités…). Confier l’évaluation ex-ante à des organismes indépendants et pluriels c’est ainsi permettre d’assurer son objectivité. L’article 2 vise donc à permettre une évaluation ex ante plus qualitative des projets de loi en intégrant dans les études d’impact les nouveaux indicateurs de richesse. Cette proposition de loi organique s’articule avec la proposition de loi précédente visant à instituer le « Conseil parlementaire d’évaluation des politiques publiques et du bien-être ».
Où en sommes-nous de ce travail dans le cadre de la procédure législative en cours ? La procédure législative a été présentée aux élèves (voir ici) « Pour notre cas d’espèce, poursuit le sénateur, les deux textes ont été déposés sur le bureau du Sénat en juillet dernier. La commission des lois s’en est saisie sur le fond. Ils seront amendés le cas échéant, débattus et votés en séance en février 2018 pour une première lecture. Je souhaite construire un large consensus sur ce projet. D’ici là, conclut Franck Montaugé, je poursuis le travail de dialogue engagé avec les scientifiques et les associations intéressés à cette démarche. La loi Sas a permis de mettre le sujet en lumière et maintenant il nous faut poursuivre, consolider cette nécessaire culture de l’alter évaluation. Il faut profiter de cet élan pour construire ensemble et redonner goût à la politique en posant et en traitant les bonnes questions du point de vue et avec les citoyens. Dans ce contexte d’intention, le Sénat doit être force de proposition. C’est aussi le sens de mon travail en cours. »