Le sénateur Franck Montaugé a présenté aujourd’hui à Paris deux propositions de loi concernant l’évaluation des politiques publiques et l’amélioration de la qualité du travail législatif. « Il s’agit de la première étape des travaux que j’ai débutés il y a 18 mois, début 2016, sur un sujet de fond: l’usage des indicateurs de développement dans la conception, l’évaluation et le pilotage des politiques publiques », explique Franck Montaugé.
« Ce sujet a été abordé par le Président de la République le 3 juillet dans son discours devant le congrès, à propos de la qualité de la loi. De mon côté, depuis 3 ans au Sénat et après être passé par l’Assemblée nationale, je fais le constat que des trois fonctions du Parlement prévues par la Constitution — fabriquer la loi, contrôler le gouvernement et évaluer les politiques publiques —, les deux premières sont perfectibles et la troisième n’est pas, ou très peu, ou très imparfaitement exercée…. Le travail qui a donné naissance à ces deux textes entend donc contribuer à l’amélioration du travail parlementaire dans son ensemble tout en associant le citoyen, le monde associatif et universitaire à ce processus. »
« Depuis plusieurs décennies, notre système de mesure des performances économiques est fondé trop exclusivement sur le PIB et il est régulièrement mis en cause. En France, le rapport de la commission sur la mesure de la performance économique et du progrès social coprésidée par les économistes Joseph Stiglitz, Jean-Paul Fitoussi et Amartya Sen et publié en 2009, a été une étape importante dans la reconnaissance des limites du PIB comme mesure du progrès des sociétés. »
« Qu’il s’agisse du ralentissement de la croissance, de la dégradation de sa qualité ou de son caractère socialement moins inclusif, il y a beaucoup d’éléments qui plaident en faveur de l’élaboration de nouveaux instruments de mesure plus signifiants et capables de rendre compte de la soutenabilité à long terme de notre mode de production et de développement. » Mais si la production de nouveaux indicateurs (par des universitaires, des ONG, des organismes statistiques, etc. sur le plan international, national ou local) est considérable dans tous les domaines (économiques, sociaux, environnementaux, culturels etc), ce que l’on constate c’est que leur utilisation à des fins d’action publique reste limitée.
Dans ce contexte , la loi « Sas » adoptée en 2015 a marqué une nouvelle étape importante avec la publication dans le cadre de la loi de finances de nouveaux indicateurs de richesse qui questionnent la qualité de la croissance (son degré d’inclusion sociale, sa qualité environnementale, sa soutenabilité sur le long terme…) et doivent permettre une évaluation différente des politiques publiques.
Aujourd’hui la question qui nous est posée en tant que législateurs c’est «comment aller plus loin dans une perspective d’efficacité politique accrue (c’est le volet institutionnel du sujet) et d’amélioration du débat public (c’est le volet démocratie de participation du sujet)? Un usage approprié d’indicateurs pertinents, significatifs des politiques publiques menées, ne serait-il pas de nature à faire progresser le pilotage de nos politiques publiques et le rapport aux citoyens à qui elles sont destinées? Et à quelles conditions pour l’ensemble des acteurs concernés ?
C’est à ces questions que le groupe de travail a répondu en procédant à 13 auditions (18 experts auditionnés) et en proposant 2 propositions de loi (dont une organique) :
– Proposition de loi ordinaire visant à instaurer un Conseil parlementaire d’évaluation des politiques publique et du bien-être (3 articles)
L’article 1 prévoit que ce conseil soit constitué de 18 députés et de 18 sénateurs, assistés d’un comité scientifique. Il a pour mission d’informer le Parlement sur les conséquences des politiques publiques sur le bien-être des populations et sa soutenabilité.
Il met en place et s’appuie sur une plateforme participative numérique relative aux nouveaux indicateurs de richesse (NIR) afin que les citoyens s’approprient les indicateurs alternatifs au PIB et fassent vivre le débat démocratique. Cette plateforme a pour objectif d’élaborer et de mettre en discussion citoyenne les nouveaux indicateurs afin de rétablir le lien entre politique et citoyens et d’attirer l’attention, notamment médiatique, sur l’état de la société à travers les grands enjeux démocratiques (cohésion sociale, inégalités, soutenabilité de la croissance…).
À cet effet, le Conseil parlementaire d’évaluation des politiques publiques et du bien-être organise chaque année au Sénat une grande conférence citoyenne sur l’état des inégalités en France.
L’article 2 s’appuie sur la loi SAS. Il prévoit un bilan d’évaluation des NIR par le Conseil parlementaire d’évaluation des politiques publiques et du bien-être ainsi que la possibilité de compléter les indicateurs, notamment pour évaluer la santé sociale (inégalités/précariat /degré de cohésion), et soutenabilité (mesure du patrimoine national et responsabilité écologique de la France).
L’article 3 propose que le rapport issu de la loi « Sas » et remis par le Gouvernement au Parlement puisse faire l’objet d’une contre-expertise indépendante. Cette contre-expertise pourrait être confiée à des organismes désignés par décret en conseil d’Etat comme l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), organisme indépendant de prévision, de recherche et d’évaluation des politiques publiques.
Le second texte est une
– Proposition de loi organique visant à améliorer la qualité des études d’impact jointes aux projets de loi (2 articles).
Fin 2015, France Stratégie s’intéressait à ce sujet en écrivant que « trop souvent, (les études d’impact) sont une simple défense et illustration, hâtivement quantifiée, de décisions ayant fait l’objet d’un arbitrage politique. Le recours à des procédures de type livre blanc et à des analyses indépendantes, fondées notamment sur l’expérience internationale, permettrait d’éclairer les débats parlementaires» [1].
L’article 1er propose que l’étude d’impact des projets de loi soit réalisée par des organismes publics indépendants, habilités à réaliser ce type d’études (INSEE, OFCE, CESE, Universités…). Proposer de confier l’évaluation ex ante (avant l’examen de la loi) à des organismes indépendants et pluriels c’est aussi permettre d’assurer son objectivité.
L’article 2 vise donc à permettre une évaluation ex ante plus qualitative des projets de loi en intégrant dans les études d’impact les nouveaux indicateurs de richesse.
Cette proposition de loi organique s’articule avec la proposition de loi précédente visant à instituer le « Conseil parlementaire d’évaluation des politiques publiques et du bien-être ».
En conclusion, nous avons fait le choix stratégique de textes simples, posant des grands principes nous permettant de progresser en tant que législateurs, tout en intégrant le citoyen dans ce processus. Les deux textes ont été déposés sur le bureau du Sénat en juillet dernier. La discussion en première lecture pourrait avoir lieu au mois de février prochain.
[1] France Stratégie, Quelle action publique pour demain. Cinq objectifs, cinq leviers, Paris avril 2015, p. 42