Intervenant mardi soir à la tribune du Sénat dans le cadre de la discussion du volet Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales du projet de loi de finances 2020, le sénateur du Gers Franck Montaugé a émis de sérieuses réserves sur un projet de budget qui ne prend pas suffisamment en compte les difficultés actuelles du monde agricole.
“Il y a 2 ans, votre prédécesseur, M. le Ministre, nous disait que le budget 2018 était, je le cite, la première étape d’une transformation sans précédent de l’agriculture française. Et vous nous avez dit l’an dernier que le budget 2019 s’inscrivait dans la continuité du précédent. Pour ces deux budgets, nous n’avions alors pas su trouver de nouveauté répondant aux grands enjeux que doit relever l’agriculture française et nous nous étions abstenus en considérant que l’essentiel restait à faire”, rappelle Franck Montaugé.
“Dans notre démocratie, dit-il, l’acte politique majeur est le vote du budget, comme on le sait tous, et c’est à l’aune des difficultés et des grands enjeux de transformation auxquels l’agriculture de notre pays est confrontée que le budget présenté aujourd’hui par votre Gouvernement doit être apprécié. Le revenu des agriculteurs, l’accompagnement de la transformation agro-écologique des exploitations, la compétitivité des filières, la gestion des risques, le budget et la gouvernance de la future PAC, la stratégie politique en faveur de la forêt et de la filière bois, l’anticipation des conséquences du Brexit pour la pêche, voilà en réalité les sujets sur lesquels notre appréciation doit se fonder.”
“Pour ce qui est du revenu agricole, l’évaluation des premiers effets de la loi Egalim par nos collègues rapporteurs fait apparaitre, à mi-parcours de l’expérimentation et du point de vue des producteurs, une inefficacité totale. Tout en partageant à l’époque avec le Gouvernement les objectifs du texte Egalim qui a fait suite aux EGA, nous étions sceptiques sur ces effets réels pour les producteurs et je l’avais exprimé ici à cette tribune au nom de mon groupe.”
“Vous faites aujourd’hui le même constat d’échec mais pour les producteurs on ne peut pas en rester là ! La commission des affaires économiques du Sénat a pris ses responsabilités et va présenter un texte dont l’ambition sera de corriger certains dispositifs. Nous serons signataires de cette proposition de loi et j’espère que vous la ferez reprendre et voter par l’Assemblée nationale. Elle ne règlera pas tout — entendons-nous bien — mais elle permettra de faire un pas dans le bon sens. Par contre, nous n’avons rien trouvé dans les missions du budget qui pourrait améliorer la situation actuelle des agriculteurs en difficulté.”
“Il y a 3 ans, avec le sénateur Henri Cabanel et vous-même, nous avions ensemble fait voter à l’unanimité, ici, un texte sur le développement des outils de gestion des risques en agriculture. Nous proposions même la mise en place, dans le cadre des règlements européens, d’un fonds de stabilisation du revenu agricole. Le texte n’a pas été repris par l’Assemblée nationale mais il pourrait certainement l’être aujourd’hui à votre initiative. Le règlement européen Omnibus a depuis été adopté et il assouplit les mécanismes de gestion et d’éligibilité de ces fonds de mutualisation des risques.”
“L’État est bien entendu partie prenante de ces financements mais rien dans le budget ne semble avoir été prévu pour déployer ces dispositifs. Ce que confirme la ligne (action 22) Gestion des crises et des aléas de la production qui reste à son niveau de 2019 à 5,37 millions d’euros. La gestion mutualisée des risques se réalise aussi au sein des Cuma et nous pensons que ce mouvement qui a fait ses preuves doit être pour cela conforté. Nous vous proposerons un amendement de 1,4 million d’euros pour aller dans ce sens.”
“En matière viticole, je peux vous dire pour les avoir rencontrés il y a quelques jours que les filières sont extrêmement inquiètes des déséquilibres qui apparaissent sur certains marchés et des conséquences de la surtaxation par les USA de nos produits d’exportation, exportations qui font, faut-il le rappeler, notre fierté et plus encore une part importante de notre commerce extérieur agricole. Qu’est-il prévu dans le budget, M. le Ministre, pour atténuer ou compenser ces taxations abusives et aider les filières viticoles ?”
“Dans ce contexte, l’affaiblissement et la mise en extinction de l’exonération employeur pour les travailleurs occasionnels demandeurs d’emploi (TODE) va rajouter des difficultés pour les filières comme la viticulture, mais aussi les fruits et légumes et quelques autres. Il n’y avait pas besoin de ça ! Vous donnez là un signe inverse à l’intention initiale visant à redonner du revenu aux producteurs! Maintenir ce dispositif est indispensable quand bien même des allègements de charge s’y rajoutent. Je regrette que l’amendement de préservation intégrale du dispositif que nous avions présenté au projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) n’ait pas été adopté. La compétitivité des filières concernées ne s’en serait que mieux portée dans ce contexte de guerre économico-diplomatique auquel se rajoute en permanence une compétition sur les coûts de production. La transition agro-écologique vers des produits de qualité à prix abordables en serait aussi facilitée.”
“On sait tous ici que la fin du glyphosate, la mise en place des zones non-traitées (ZNT), va se traduire par des surcoûts de production de l’ordre de 50 à 150€ ou plus par hectare, engendrés notamment par un surcroit de main d’œuvre et de mécanisation. Votre budget n’anticipe pas la transition des exploitations vers la fin progressive du glyphosate. En cohérence avec ce propos, nous vous proposerons un amendement de création d’un « fonds spécifique d’aide et d’accompagnement à l’arrêt de l’utilisation de produits phytosanitaires » doté de 10 millions d’euros.”
“Dans la même logique, nous proposerons d’affecter 10 millions d’euros à l’atteinte des 50% de produits sous signes officiels de la qualité et de l’origine (SIQO) et 20% de produits Bio dans la restauration collective d’ici 2022. Le développement des fermes Dephy doit être accéléré et nous souhaitons que 450 k€ y soit consacrés. Pour faire face à ses missions croissantes, l’ANSES doit garder son budget et nous vous proposerons par amendement de rétablir la subvention pour charges de services publics d’un montant de 4 millions d’euros.”
“La sortie injuste et injustifiée à ce jour de certains territoires ancestraux de polyculture-élevage des zones défavorisées conduit aussi à des pertes de revenus importantes et à des arrêts d’exploitation voire pire ! C’est le cas dans le Gers pour près de 110 éleveurs, dans l’Aude, dans les Deux-Sèvres et ailleurs aussi. Nous ne pouvons toujours pas l’admettre quand on connait les territoires concernés, les hommes et les femmes qui y vivent avec autant de peine que de dignité ! Pour faire face aux baisses de leurs revenus, nous pensons qu’il serait judicieux de développer expérimentalement des prestations pour services environnementaux (PSE) sur ces territoires. Il est grand temps qu’à travers ce dispositif la contribution positive de l’agriculture française, dans sa diversité, aux grands enjeux de transition environnementale — climat, eau, air, paysages etc — soit reconnue et valorisée.”
“En matière de soutien à la transition agro-écologique, le programme 149 augmente de 140 millions d’euros pour financer la reconduction des contrats quinquennaux de financement des MAEC qui se terminent en 2020. On s’inscrit donc ici dans une logique de reconduction des financements existants. Quel signe voulez-vous donner en matière de transition agro-écologique ?”
“Pour la PAC vous nous avez dit votre intransigeance à l’égard d’une nouvelle PAC en baisse budgétaire, en laissant toutefois entendre qu’il y aurait une perte engendrée par le Brexit. Alors, avec ou sans Brexit, comment allez-vous compenser les -15% de baisse à euros constants pour que le revenu agricole n’en soit pas une nouvelle fois négativement affecté ? Rien dans le budget ne semble en rapport avec ce sujet crucial. Ni pour le premier pilier, ni pour le second dont les territoires ruraux vont aussi faire probablement les frais, ni pour le verdissement dont l’accompagnement pourrait être sensiblement amoindri, retardant d’autant la transition vers un modèle durable d’agriculture.”
“D’ores et déjà l’impact du Brexit sera sensible sur le budget PAC. La pêche est à cet égard aussi un sujet particulièrement préoccupant qui nécessite de l’anticipation. La politique déployée en matière de forêts et de soutien à la filière bois ne nous parait pas adaptée aux enjeux et au potentiel de notre pays. Pour rattraper une partie de notre retard, il est nécessaire de rétablir les moyens du fonds stratégique de la forêt et du bois. Nous proposerons un amendement de près de 2,5 millions d’euros pour aller dans ce sens. Les moyens du conseil national de la propriété forestière doivent aussi être affermis de 1 million d’euros pour rester au niveau de 2019. Il est aussi nécessaire de donner à l’agriculture dite endogène d’outremer les moyens de son développement et nous proposerons d’y affecter 5 millions d’euros.”
“Monsieur le Ministre, indépendamment d’une hausse « faciale » de 400 millions d’euros à périmètre constant, ce budget 2020 ne prend pas ou pas assez en compte les grandes difficultés des filières, des territoires, des hommes et des femmes qui y sont en grande difficulté. Nous ne pouvons l’approuver en l’état ! Nous voterons par contre le CASDAR dont les crédits sont stables. » conclut Franck Montaugé.