Le sénateur Montaugé s’est exprimé mercredi 29 mai 2024 lors d’un débat ayant pour thème : « Le contrôle des investissements étrangers en France comme outil d’une stratégie d’intelligence économique au service de notre souveraineté ».
« Madame la Présidente, Monsieur le ministre, Chers collègues,
Je remercie Jean-Baptiste Lemoyne d’avoir proposé ce débat à l’ordre du jour de notre assemblée.
Dès 2015, j’avais personnellement attiré l’attention de la Commission des Affaires Économiques sur ce sujet resté confidentiel et je me suis réjouis qu’une mission d’information le mette en lumière.
Aujourd’hui et dans le prolongement de cette mission, les enjeux et la place de l’Intelligence Économique dans notre stratégie de souveraineté nationale sont objectivés dans une proposition de loi (PPL) transpartisane initiée par Marie-Noëlle Lienemann. J’ai participé à ce travail au nom du groupe Socialiste Écologiste et Républicain.
Notre pays s’est jusqu’ici focalisé sur le contrôle des investissements étrangers en France (IEF) en faisant évoluer le dispositif par différentes mesures procédant du décret de mars 2019… et c’était nécessaire… dont acte !
Mais au-delà de l’évaluation du dispositif actuel et de son impact réel sur notre économie je pense que l’intelligence économique devrait constituer le cadre global de notre stratégie de souveraineté économique nationale, le contrôle des IEF en étant une des déclinaisons.
Alors pourquoi ?
Le concept de « guerre », aujourd’hui trop galvaudé à mon sens, est pertinent dans le contexte mondial de libre échange économique dès lors qu’il est nécessaire de prendre en compte les risques divers d’agression auxquels nos entreprises sont en permanence soumises, sous des formes multiples et hybrides.
En quelques décennies, la « guerre économique » a émergé comme un domaine de savoirs et de recherche. Une « École de guerre économique » en illustre aujourd’hui la reconnaissance et le bien fondé. Les enseignements et la culture qui résultent de cette science doivent faire l’objet d’une appropriation par tous les acteurs économiques et leurs partenaires dont les collectivités locales.
Au plus haut niveau de la République, l’État doit définir et se doter des moyens de pilotage et d’administration d’une « stratégie nationale d’Intelligence Économique » (SNIE).
Une stratégie claire est en effet nécessaire qui engloberait notamment les dispositifs actuels relatifs aux IEF, sans les remettre en question je le précise.
C’est tout le sens de la PPL déposée en septembre 2023 qui porte au niveau législatif l’intelligence économique et vise à en faire le cadre d’une politique publique de reconquête de notre souveraineté économique. Cette politique publique, débattue et votée par la représentation nationale, serait pilotée par une structure dédiée dont la loi permettrait de garantir la pérennité.
À partir de cette analyse du contexte, Monsieur le Ministre : jugez-vous utile, nécessaire, que la France se dote d’une stratégie nationale d’intelligence économique et d’un « secrétariat général à l’intelligence économique » (SGIE), structure interministérielle donc, rattaché au Premier Ministre ?
Comment entendez-vous, le cas échéant, acculturer les acteurs économiques de tous nos territoires à ce sujet qui les concerne tous à des degrés divers ?
Pour ce faire et comme nous le proposons, des comités régionaux à l’intelligence économique pourraient décliner et piloter la SNIE en lien avec les entreprises locales et les Chambres de Commerce et d’Industrie (CCI). Les CCI seraient missionnées dans le cadre de leurs « contrats d’objectifs et de performance » pour prendre en compte sur leurs territoires la SNIE.
En cohérence, les Schémas Régionaux de Développement Economique d’Innovation et d’Internationalisation (SRDEII) devrait aussi intégrer un volet intelligence économique.
In fine, l’évaluation de cette politique publique de souveraineté ferait l’objet d’un rapport annuel qui traiterait spécifiquement de l’intelligence économique en sus de ce qui est aujourd’hui fait pour les IEF.
Monsieur le Ministre, l’intelligence économique doit prendre une place centrale dans les politiques publiques visant à améliorer notre souveraineté économique nationale. Sans mettre ici en question le dispositif actuel des IEF qui doit être l’objet d’évaluations spécifiques… on ne peut s’en contenter parce qu’il ne couvre en réalité qu’une partie – au demeurant très importante – du champ de la souveraineté économique.
La guerre économique n’est pas une vue de l’esprit ! Dans un monde de menaces et d’affrontements qui vont croissant, elle est une réalité géopolitique qui nous oblige en tant que français et pour le destin de la France ! Elle concerne toutes nos entreprises. Elle nécessite une acculturation spécifique, voulue au plus haut niveau de la République et de l’État français.
Merci monsieur le Ministre de nous dire les suites que vous entendez donner à nos propositions de stratégie nationale d’intelligence économique, de Secrétariat Général d’intelligence économique et d’implication des entreprises à travers la mobilisation des conseils régionaux et des CCI.
Je vous remercie. »
A la suite de cette intervention, Monsieur Roland Lescure, Ministre délégué chargé de l’Industrie et de l’Énergie a répondu :
« Monsieur le Sénateur,
Merci de vos questions. D’abord, je vous rejoins pour dire que l’intelligence économique, va au-delà des contrôles des IEF même si s’en est une composante importante. Il faut garantir les lignes d’approvisionnement, on l’a vu par exemple pendant la Covid, on peut se retrouver dans un risque économique réel lié à des problèmes d’approvisionnement. Il faut protéger les actifs stratégiques et notamment dans le cadre du décret IEF. Il faut aussi prévenir l’application de règlements étrangers qui peuvent avoir de l’impact sur nos entreprises.
La politique de sécurité économique elle existe depuis 2019, elle a été élaborée et présentée par l’Etat et est portée – et vous proposez une amélioration pour qu’elle soit portée par le Premier Ministre – par le Ministre de l’Economie et des Finances que vous pouvez auditionner régulièrement comme aujourd’hui sur le rapport IEF.
Les services, vous les connaissez : le service de l’information stratégique et de la sécurité économiques, le secrétariat général de la défense et de la sécurité, l’ensemble de l’appareil économique et financier de l’Etat mais aussi le Quai d’Orsay dans une logique interministérielle.
Nous considérons que l’organisation actuelle rend le dispositif utile, nécessaire et efficace mais toutes les améliorations proposées par la représentation nationale relatives aux IEF ou au suivi de l’intelligence économique seront les bienvenues. »
Pour conclure, le sénateur Montaugé a insisté sur l’importance pour l’Etat de se saisir du concept d’intelligence économique pour guider ses politiques en matière d’économie.
« Merci Monsieur le Ministre pour votre expression. J’entends et partage vos propos. Le sens de notre message est relatif à l’émergence et à la prise en compte de la notion d’intelligence économique dans la démarche de l’Etat visant à une meilleure sécurité économique en France. Cette notion mérite d’être mise en lumière, d’être utilisée et diffusée dans les territoires. Il y a un enjeu d’acculturation considérable car de petites entreprises (qui parfois sont des pépites) de nos territoires sont soumises à des risques profonds. »