A l’occasion de l’inauguration du 33ème festival d’astronomie de Fleurance, le sénateur Montaugé a été invité à prendre la parole, ce vendredi 4 aout 2023, en ouverture du débat qui avait pour sujet « L’exploration spatiale est-elle encore justifiée ? ».
En cohérence avec ses récentes interventions sur les thèmes de l’espace (Lire ICI) ou de l’économie de demain (Lire ICI), Franck Montaugé s’est ainsi exprimé :
« Merci de m’avoir invité à l’inauguration de cette nouvelle édition du festival d’Astronomie de Fleurance. Je suis venu vous dire ma reconnaissance et ma gratitude pour ce que représente depuis 33 ans votre contribution à la vie intellectuelle et scientifique de notre pays. D’édition en édition, vous avez su conjuguer l’accès aux savoirs scientifiques fondamentaux qui interrogent notre présence humaine dans le cosmos avec le questionnement de l’agir humain et de ses conséquences.
Henri Bergson disait : « L’avenir n’est pas ce qui va arriver mais ce que nous allons faire. » Je retrouve dans ce propos l’esprit que vous avez donné au festival tout au long de ces années.
En 1919, tirant les conséquences de la Grande Guerre, Paul Valéry alertait « Nous autres, civilisations, nous savons maintenant que nous sommes mortelles. » A l’aune des grandes catastrophes et des crises multiples qui se sont développées au 20ème siècle, jusqu’à la crise climatique et environnementale dont nous percevons aujourd’hui les effets concrets, « La crise de l’esprit » pensée par Valéry à l’échelle de l’Europe doit être élargie à l’ensemble des conséquences de nos interactions avec la nature au sens large. C’est ce que vous faites ici à Fleurance, édition après édition, et je vous en remercie.
Encore aujourd’hui, vous allez questionner le bien-fondé de l’intérêt que nous portons au ciel et à l’espace. Permettez-moi d’avancer quelques réflexions et propositions à ce sujet en rapport avec mon travail de sénateur membre de la commissaire des affaires économiques.
L’espace est le 4ème champ d’affrontement ou de coopération, c’est selon, entre pays. Il y a donc derrière la question de son occupation des enjeux stratégiques, des enjeux de souveraineté pour chaque État.
La problématique des déchets, des débris, est un des sujets qui se posent. On a l’impression quand on n’est pas spécialiste, ce qui est mon cas, que l’espace c’est un peu la jungle et que la loi du plus fort finit souvent, de fait, par s’imposer. C’est en substance, le propos que j’ai tenu, en 2020 au Sénat, lors d’un débat consacré à la politique spatiale européenne.
Plus largement, ce que je plaide sur ce sujet, en tant que parlementaire, c’est que l’espace soit doté d’un statut de « commun » ou de « bien commun » et que les droits d’usages, publics comme privés, y soient assujettis.
Ma dernière contribution à votre réflexion de ce soir sera un peu provocatrice. Mais elle n’est pas de moi. Le récent film sur Robert Oppenheimer m’a fait revenir sur un petit recueil dont je vous cite un extrait :
« Qu’une recherche de pointe soit associée à une véritable menace à la survie de l’humanité, une menace même à la vie tout court sur la planète, ce n’est pas une situation exceptionnelle, c’est une situation qui est la règle. »
Ces propos sont tirés d’une conférence qu’a donnée en 1972, au Conseil européen pour la recherche nucléaire (CERN), un des plus grands mathématiciens du 20ème siècle : Alexandre Grothendieck. Il l’a conclue en disant :
« Nous pensons maintenant que la solution ne proviendra pas d’un supplément de connaissance scientifique, d’un supplément de technique, mais qu’elle proviendra d’un changement de civilisation. » Je dois vous dire que cette assertion m’interroge.
Pourquoi ? Parce que je pense d’une part que la marche vers la connaissance en général et la connaissance scientifique en particulier ne doit jamais cesser et que d’autre part, avec Rabelais, « science sans conscience n’est que ruine de l’âme » ou dit autrement que science et éthique doivent progresser de concert !
Mais la position de Grothendieck élargit le propos de Valéry que je citais en début d’intervention. Elle nous invite à penser ce qu’est une civilisation, sur quels principes, quels objectifs et quelles institutions elle peut être collectivement élaborée au regard des transitions ou des bifurcations que nous avons à opérer, dans tous les domaines de la vie.
Philosophie – l’épistémologie en fait partie -, anthropologie, histoire, sociologie, écologie, économie, culture… tous les domaines de savoir devraient être mobilisés, articulés, rapprochés, bien plus qu’ils ne le sont aujourd’hui dans le champ public, pour élaborer des réponses durables et collectives à la crise.
Le mot « crise » étant ici entendu au sens ancien de la faculté de juger, de choisir et de décider ensuite de l’action à mener.
Il y a quelques semaines, le Parlement a discuté et voté un projet de loi intitulé « industrie verte ». Pour moi… et quelques autres, ce texte devait être l’occasion de discuter de l’économie dont notre pays a besoin pour le futur. « L’économie désirable », comme l’appelle le professeur Pierre Veltz, nécessaire à la fin de l’ère, si ce n’est de la civilisation, du thermo fossile. Le Gouvernement n’a pas voulu engager ce débat.
Je ne pense pas que nous réussirons la transition sans un débat démocratique profond associant l’ensemble des forces vives de notre pays. On ne peut pas laisser le marché et ses acteurs, au premier rang desquels bien entendu les producteurs, penser seuls, agir seuls. Cela vaut à l’échelle de la planète et dit toute la complexité de la question !
Et dans ce contexte problématique se pose bien entendu la question de la recherche – ou plutôt des recherches – au sens large. Les lois de programmation de la recherche n’abordent pas la question de cette manière. Elles sont surtout focalisées sur la question des moyens budgétaires alloués et des conditions d’exercice du travail de recherche. Celle de 2021-2030 ne fait pas exception. Les orientations que nous lui donnons, dans quels buts et suivant quels processus, il en est très peu question.
Mais j’arrête là mes digressions… en vous faisant une petite suggestion. Antiquité, scolastique, Renaissance, Lumières, période contemporaine, à chacune de ces étapes la civilisation a progressé, en tout cas je le pense.
Il me semble que nous ne relèverons le défi immense qui se pose à nous aujourd’hui que par une nouvelle révolution intellectuelle et conséquemment politique, de la civilisation. Contre tous les obscurantismes, dont la haute technique dévoyée peut être parfois la source, en ayant soin de garantir les conditions de la liberté de pensée et de conscience, nous avons besoin aujourd’hui d’un nouvel humanisme basé sur une philosophie des Lumières actualisée.
Quel projet humaniste de civilisation à l’ère de l’anthropocène ? C’est LA question que je pose et LA proposition que je fais au festival d’astronomie de Fleurance dont les organisateurs que je salue et que je remercie feront peut-être leur miel !
Un grand merci à vous tous ! »