S’exprimant dans le cadre d’un débat sur la Politique agricole commune organisé le 7 décembre dernier à Paris par le média spécialisé dans les affaires européennes « Euractiv », le sénateur Franck Montaugé, auteur d’un rapport sur le suivi de la politique agricole commune (lire ici) a rappelé son attachement au respect du principe d’un cadre commun pour la mise en oeuvre de la PAC. Le sénateur du Gers met en garde contre les dangers du renforcement du principe de subsidiarité (1) proposé par la commission européenne. « Nous ne souhaitons pas que l’on revienne vers une nationalisation de la PAC, une désagrégation de cette grande politique qui aujourd’hui consomme encore près de 40% du budget européen, dit-il. Nous avons besoin d’un cadre commun c’est tout à fait essentiel. Aujourd’hui, tout reste à faire pour voir comment les objectifs de résultats qui vont être fixés par la commission seront traduits nationalement dans la cadre des plans stratégiques qu’appelle la commission. »
La Commission européenne vient de communiquer au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des Régions les mesures d’évolution qu’elle souhaite pour l’avenir de l’alimentation et de l’agriculture. Ces mesures ont été adoptées par le collège des commissaires le 29 novembre 2017. Elles constituent le premier document d’orientation de la commission européenne sur la réforme de la PAC après 2020. Elles font suite à la consultation sur la modernisation et la simplification de la PAC menée par la Commission européenne au premier semestre 2017, qui a montré la nécessité d’aller vers une simplification de la PAC, devenue trop complexe, et a recueilli 223 000 contributions. Elles interviennent aussi après la publication le 28 juin 2017 d’un document de réflexion sur l’avenir des finances de l’Union européenne qui envisage plusieurs scenarii de baisse sensible du budget consacré à la PAC. Elles précèdent le travail de rédaction de propositions législatives de la Commission, qui ne devraient être connues qu’au deuxième semestre 2018.
- Le contenu de la communication de la commission : une évolution de la PAC et pas une révolution.
La communication de la commission, assez courte, reste assez évasive sur les contours de la PAC après 2020. Elle fixe des objectifs assez consensuels : simplifier la PAC sans en modifier fondamentalement l’architecture générale, rendre la PAC plus intelligente, moderne et durable. Les éléments de continuité l’emportent sur les éléments de rupture.
a- Une PAC dans la continuité de l’existant.
La commission propose de conserver une PAC à deux piliers, avec une aide au revenu qui relèverait du premier pilier et des mesures en faveur de l’investissement, de la gestion des risques ou encore de la consolidation du tissu socio-économique des zones rurales qui relèveraient du deuxième pilier. La commission réaffirme la nécessité pour la PAC d’avoir une ambition d’accompagnement du développement des zones rurales.
La commission ne propose pas de bouleversement en matière d’organisation des marchés agricoles et d’intervention sur ceux-ci. Elle rappelle que la PAC doit rester orientée vers le marché. La commission envisage simplement un renforcement du rôle des organisations de producteurs. Elle envisage aussi de poursuivre la mise en œuvre d’instruments de gestion des risques, notamment l’instrument de stabilisation des revenus (ISR) avec un seuil de déclenchement de 20 %. « Je vous invite à voir à ce sujet la proposition de loi que j’avais fait voter au Sénat en juin 2016 avec mon collègue de l’Hérault Henri Cabanel et pour laquelle nous demandions au ministre de l’Agriculture de la mettre au débat de l’Assemblée nationale », précise le sénateur Franck Montaugé.
b- Les innovations proposées.
La principale innovation proposée consiste à simplifier drastiquement la PAC à travers la modification du modèle de mise en œuvre de la PAC, en retenant une approche par les résultats plutôt que par les moyens concernant le verdissement et la conditionnalité environnementale. La commission envisage que les États-membres s’engagent sur un plan stratégique de mise en œuvre de la PAC, couvrant les deux piliers (la programmation ne concernerait donc pas seulement le deuxième pilier, comme c’est le cas aujourd’hui).
Le plan stratégique serait présenté à la commission européenne qui le validerait ou demanderait à ce qu’il soit amendé par l’Etat avant validation et mise en œuvre. L’éco-conditionnalité, le verdissement des aides directes et le dispositif des mesures agroenvironnementales seraient remplacés par des mesures définies par les États membres et les aides distribuées seraient conditionnées à l’engagement des agriculteurs dans des pratiques vertueuses, définies et contrôlées au sein de chaque État membre. Concrètement la commission propose de supprimer l’approche uniforme en matière d’application de la PAC et d’aller vers davantage de subsidiarité.
Une autre nouveauté consiste à aller vers le plafonnement obligatoire des paiements directs en tenant compte de la main d’œuvre et la généralisation des paiements dégressifs voire des paiements redistributifs, pour favoriser les petites et moyennes exploitations au détriment des grandes. La commission européenne propose aussi de mieux articuler la PAC et les autres politiques de l’Union européenne, en particulier, la politique de recherche et d’innovation.
- Les interrogations suscitées par la communication de la commission sur l’avenir de la PAC.
Si elle était attendue, la communication de la commission a suscité des réactions contrastées, laissant de nombreuses questions ouvertes en vue de la réforme de la PAC après 2020.
a- Les critiques des propositions de la commission.
Les critiques portent principalement sur le renforcement de la subsidiarité dans la mise en œuvre de la PAC :
- Même s’ils réclament des mesures de simplification, en particulier dans le domaine des obligations environnementales, les syndicats agricoles français ont tous indiqué craindre une renationalisation de la PAC, qui conduirait à un accroissement des disparités entre États membres, ouvrant la voie à des distorsions de concurrence.
- Les organismes de défense de l’environnement ont indiqué de leur côté craindre que les plus grandes marges de manœuvre laissées aux États membres pour définir leur manière de mettre en œuvre la PAC, conduise en réalité à un affaiblissement des exigences environnementales.
La subsidiarité peut ainsi conduire à s’éloigner de toute harmonisation sociale et environnementale. Une autre critique porte sur l’absence de toute nouvelle ambition de régulation des marchés agricoles et de gestion des crises : en effet, le modèle des aides directes n’est pas remis en cause, alors même qu’il n’a aucune dimension contra-cyclique.
Enfin, les craintes budgétaires sont fortes avec le Brexit d’une part, et le risque d’une réduction de l’enveloppe consacrée à la PAC dans le futur cadre financier pluriannuel d’autre part. Une plus forte subsidiarité pourrait être accompagnée de cofinancements des aides de la PAC, au-delà du deuxième pilier pour lequel ces cofinancements existent déjà.
b- Quelles suites aux propositions de la commission ?
La réforme de la PAC restera dans le flou tant que le « cadre financier pluriannuel » sera aussi incertain. Le risque d’une très forte baisse des enveloppes n’est pas à exclure. La mise en place d’un cadre commun pour l’application de la PAC, décliné ensuite par État membre à travers un plan stratégique national respectant ce cadre commun est techniquement envisageable, mais comporte des risques pour l’agriculture française si l’application de ce cadre s’avérait plus rigoureuse en France que chez nos voisins européens (lire aussi ici).
1- En politique, le principe de subsidiarité est le principe selon lequel une responsabilité doit être prise par le plus petit niveau d’autorité publique compétent pour résoudre le problème. Dans la construction européenne, le principe de subsidiarité, est une règle de répartition des compétences entre l’Union européenne et ses Etats membres. Lorsque la commission européenne donne aux Etats la possibilité de traduire comme ils le souhaitent une politique européenne, on dit que « le principe de subsidiarité est renforcé ».
Téléchargez ici le rapport du sénateur Montaugé sur le suivi de la PAC
Téléchargez ici le rapport sur la simplification des normes agricoles