Mardi 16 janvier 2024, le sénateur Montaugé s’exprimait lors d’un débat de contrôle concernant la réforme du marché européen de l’électricité. À cette occasion, il a demandé au Gouvernement d’exposer sa stratégie de financement des 6+8 nouveaux réacteurs nucléaires EPR2 devant être raccordés à partir de 2035 pour les premiers d’entre eux.
Actuellement, le fonctionnement du marché européen de l’électricité ainsi que le mécanisme de ARENH1 ne permettent pas à EDF de dégager seul les ressources nécessaires à la construction de ces EPR. Dans ce contexte de marché européen et de transition énergétique, les choix du Gouvernement devront permettre de donner de la lisibilité à tous les consommateurs, à des niveaux de prix acceptables.
« Jusqu’ici, le Gouvernement a peu ou pas abordé la question importante du financement du nouveau nucléaire. Plus de 50 milliards d’euros pour les 6 premiers réacteurs et plus de 150 milliards pour les 14 annoncés par le Président de la République.
La situation actuelle d’EDF, du fait des règles européennes, ne lui permet pas de recourir à l’autofinancement et sa capacité à s’endetter est très limitée. Dans ce contexte, pouvez-vous nous dire quels sont les dispositifs, régulés et contractuels, permis par l’Union Européenne, que le Gouvernement entend privilégier, en complément du financement public sous forme de subventions ou de dotations en capital ?
L’Union Européenne promeut notamment les CfD2 et les PPA3. Comment allez-vous les utiliser pour le financement des investissements nucléaires ? »
Bruno Le Maire, Ministre de l’Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique a ainsi répondu :
« Pour la réalisation de ces 6 nouveaux EPR, le coût total est évalué aujourd’hui à plus de 55 milliards d’euros. Mais la montée en charge sera progressive : 1 à 2 milliards seulement seront nécessaires d’ici à 2027.
Il y aura évidemment un soutien de l’Etat. Mais la première façon de bien financer ces EPR, c’est de garantir la rentabilité d’EDF.
C’est ce qui explique la position que j’ai tenu durant toutes les négociations entre EDF et l’Etat sur la réforme des tarifs. Il fallait d’une part garantir la compétitivité des tarifs pour l’industrie et d’autre part, veiller à la rentabilité pour EDF. Car EDF doit se désendetter (65 milliards d’euros de dettes actuellement) et renouer avec la rentabilité ce qui lui permettra de dégager des moyens financiers pour investir aussi dans le nouveau nucléaire. »
A cette réponse partielle, le sénateur Montaugé a répliqué :
« La construction des centrales, leur pilotage et leur maintenance, le cycle complet du combustible, les démantèlements détermineront le coût complet du mégawattheure nucléaire.
Le Gouvernement peut utiliser différents dispositifs de financement parmi lesquels :
- les emprunts souverains indexés sur les OAT4.
- la base d’actifs régulés.
- CfD.
- PPA.
Ces techniques de financement sont plus ou moins dépendantes des marchés, plus ou moins liées à certaines catégories de consommateurs aussi. Il en résulte des coûts financiers d’emprunts plus ou moins coûteux.
Un arbitrage politique du Gouvernement est nécessaire entre la contribution sur le long terme de l’État donc des contribuables, des partenaires financeurs potentiels du nucléaire et des consommateurs.
Dans le cadre européen fixé par le nouveau marché (market design) et la taxonomie5 verte, les modalités de financement du nucléaire auront un impact fort sur le prix payé par le consommateur français, un prix que nous voulons le plus régulé possible pour protéger nos compatriotes.
La compétitivité de notre industrie en sera aussi affectée. Je souhaite que très rapidement le Gouvernement s’explique sur ce point et qu’il engage un débat de fond avec le Parlement. »
1 Accès Régulé à l’Électricité Nucléaire Historique, qui oblige EDF à vendre une partie de la production nucléaire à un prix à perte de 42 euros du mégawattheure aux fournisseurs alternatifs
2 Contrat d’écart compensatoire bidirectionnel (ou Contracts for Difference – CfD) : contrat mis en œuvre par les États membres, dès lors qu’ils optent pour un régime de soutien direct des prix, afin de promouvoir les investissements dans les nouvelles installations de production d’électricité ainsi que le rééquipement, l’agrandissement ou la prolongation de celles existantes. Ces contrats englobent les énergies éolienne, solaire, géothermique, hydroélectrique et nucléaire. Lorsque le prix d’exercice est supérieur au prix de marché, leurs recettes excédentaires sont reversées aux consommateurs.
3 Accords d’achat d’électricité (ou Power Purchase Agreement – PPA) : contrat d’achat d’électricité conclu entre deux acteurs, un producteur, souvent d’énergie renouvelable, et un acheteur d’électricité, pour une livraison sur une période donnée et à un prix négocié en amont. Généralement, les PPA sont conclus sur des longues périodes (jusqu’à 20 ans), mais ils peuvent également être négociés sur des durées plus courtes (3-5 ans).
4 Obligations Assimilables du Trésor : obligations d’Etat à 10 ans
5 La taxonomie verte européenne désigne la classification des activités économiques ayant un impact favorable sur l’environnement. Son objectif est d’orienter les investissements vers les activités « vertes ».