Mercredi 8 mars 2023, la commission des affaires économiques (CAE) du Sénat a successivement auditionné Bernard Doroszczuk, président de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN), et Jean‑Christophe Niel, directeur général de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), sur la réforme annoncée le 3 février 2023 lors du Conseil de politique nucléaire (CPN).
Le Gouvernement souhaite, de manière unilatérale, sans concertation ni évaluation préalables(*), une fusion des deux structures. Pour ce faire, des amendements gouvernementaux au projet de loi projet de loi relatif à l’accélération des procédures liées à la construction de nouvelles installations nucléaires ont été présentés pour permettre d’entériner le principe de fusion.
À l’occasion de l’audition des directions des deux organismes, les commissaires ont unanimement contesté la méthode retenue par le Gouvernement pour cette réforme. Ils se sont également intéressés aux conséquences d’une telle fusion sur la stabilité des systèmes de contrôle, la perte de compétences d’expertise ou de recherche et la confusion qui pourraient naître de la réunion des missions, scindées jusqu’alors, d’expertise d’une part et de contrôle d’autre part, au sein d’une même entité.
Le sénateur Montaugé s’est enquis auprès du Président de l’ASN de la démarche nécessaire pour garantir l’éthique scientifique et l’indépendance intellectuelle dans leur travail des salariés de l’IRSN (chercheurs, ingénieurs et techniciens de haut niveau) au sein de la future organisation.
« Je ne sais pas si vous partagez mais je pense que ce qui fait l’intégrité scientifique – parce que c’est de ça dont il s’agit aussi – ce sont les personnes et leur liberté de penser au sein des structures dans lesquelles elles évoluent et travaillent.
Au-delà de la procédure législative pour le moins surprenante qui a été choisie par le Gouvernement – une fois de plus – pour introduire ce projet, je note que la Cour des Comptes, dans un rapport, a considéré que la séparation actuelle était justifiée par la dualité, la complémentarité des deux organismes.
Personnellement, je n’ai pas bien compris sur quelles bases de propositions vous garantiriez l’indépendance et la liberté des personnels de l’IRSN qui seraient donc intégrés dans l’ASN ?
Et comment – c’est tout aussi important – vous en feriez la preuve (de cette indépendance et de cette liberté) en direction des populations dont vous avez dit l’importance qu’il y avait à communiquer avec elles, à les tenir informées et même à les acculturer aux questions liées au nucléaire ?
Je vous remercierais de bien vouloir apporter quelques précisions à ce sujet. Je pense que les Français ont besoin sur ces questions-là de confiance et que la confiance se gagne en apportant des informations régulières et en faisant la preuve de cette indépendance scientifique notamment celle des personnels de l’IRSN. »
Réponses de Monsieur Olivier Gupta, Directeur général de l’ASN et de Monsieur Bernard Doroszczuk, Président :
Franck Montaugé a ensuite interrogé le Directeur général de l’IRSN sur les modalités de diffusion d’informations fiables et indépendantes au sujet du nucléaire qui permettrait aux populations concernées d’acquérir un niveau de connaissance et de compréhension satisfaisant. Le sénateur s’est également inquiété de la dimension humaine de cette fusion et de la prise en considération des intérêts des personnels de l’IRSN qui ont par ailleurs manifesté le 28 février 2023 leurs inquiétudes lors d’un rassemblement à Paris.
« Merci d’avoir insisté – parce que j’ai posé la question à Monsieur Doroszczuk, président de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) – sur la publicité des travaux scientifiques et des décisions qui sont prises. Ma question : faut-il retenir de votre propos qu’on doit en France faire mieux sur ce sujet ? Je pense qu’il y a un enjeu considérable par rapport à la question de confiance dans le nucléaire et dans le rapport aux populations concernées.
Vous avez parlé de déstabilisation des personnels par rapport à l’annonce de ce projet (dont vous nous avez d’ailleurs parlé comme d’une décision qui a déjà été prise nous restreignant, nous parlementaires, au rôle de voiture-balai). Ma question est la suivante : comment éviter la fuite de compétences vers d’autres cieux voire à l’étranger ? Quel est à cet égard le projet social ? Et quelle est la manière d’appréhender la dimension humaine de ce projet ? »
Réponse de Monsieur Jean-Christophe Niel, Directeur général de l’IRSN :
Bien qu’insuffisant (Lire ICI), le texte relatif à l’accélération des procédures liées à la construction de nouvelles installations nucléaires a été amendé par la CAE du Sénat afin de renforcer la sûreté et de la sécurité nucléaires :
- intégration de la résilience au changement climatique dans la démonstration de sûreté et de la cyber‑résilience dans leur protection contre les actes de malveillance,
- prévention des risques de submersion et d’inondation et du recul du trait de côte dès l’attribution des concessions maritimes,
- maintien d’un rapport intermédiaire sur la mise en œuvre des prescriptions de l’ASN dans le cadre des réexamens,
- consolidation des attributions et du fonctionnement de la commission des sanctions de l’ASN.
Le texte est depuis janvier 2023 sur le bureau de l’Assemblée nationale. La commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale s’en est saisie et a approuvé, lundi 6 mars 2023, le principe de la fusion malgré de vives oppositions. Le texte doit désormais être examiné en séance.
Le sénateur Montaugé reste vigilant sur le devenir du projet de fusion de l’ASN et de l’IRSN et espère – s’il devait se concrétiser – qu’il ne vienne pas semer de la confusion et, pire, de la défiance, alors que la relance du nucléaire suppose au contraire de la confiance.
(*) au détour d’un amendement, sans étude d’impact associée, déposé à l’Assemblée nationale en lecture simple du projet de loi relatif à l’accélération des procédures liées à la construction de nouvelles installations nucléaires à proximité de sites nucléaires existants et au fonctionnement des installations existantes, donc non soumis au Sénat.