Fait rarissime, l’ensemble des groupes du sénat a voté ce mercredi par 342 voix Pour et 0 Contre, la proposition de loi présentée par la présidente de commission des affaires économiques Mme Primas intitulée “Pour le libre choix du consommateur dans le cyberespace“. Cette initiative législative à ce jour inédite en Europe et dans le monde a pour objectif de donner davantage de pouvoir au consommateur-internaute en s’appuyant notamment sur une régulation pro-active s’imposant aux géants du numérique. Ce vote contredit la position du Gouvernement qui n’est pas favorable à ce texte au motif que le bon niveau de législation serait l’Union européenne. « Une position de procrastination dommageable pour nos concitoyens et nos entreprises », estime le sénateur du Gers Franck Montaugé qui, en tant que rapporteur de ce texte, s’est exprimé en ouverture de la discussion générale.
« Comme l’a dit la présidente de notre commission et première signataire de cette proposition de loi, nous examinons aujourd’hui un texte qui nous rassemble largement, a déclaré Franck Montaugé. Le groupe socialiste et républicain a tenu à y apporter d’emblée une contribution active par la fonction de co-rapporteur que j’ai le plaisir d’exercer. Ces travaux prolongent aussi pour moi ceux effectués dans le cadre de la commission d’enquête sur la souveraineté numérique que j’ai eu l’honneur de présider et que Gérard Longuet a rapportés (lire ici et ici). Ce texte et certains amendements s’inscrivent et prolongent nombre de recommandations de ce rapport. »
« La commission d’enquête avait souligné le manque de coordination et de visibilité de la stratégie gouvernementale en matière numérique…, rappelle M. Montaugé. Nous avions souligné le fonctionnement en silo des ministères, et l’absence de stratégie globale. Nous avions donc recommandé la création d’un forum temporaire pour remettre à plat la stratégie française en matière de souveraineté numérique, et l’élaboration d’une loi d’orientation et de suivi de la souveraineté numérique. Monsieur le ministre, je me permets d’insister à nouveau sur ce point car plus le temps passe et plus je suis convaincu de la nécessité d’une telle démarche, poursuit Franck Montaugé en s’adressant au secrétaire d’Etat chargé du Numérique, Cédric O. Continuer à subir, procrastiner en invoquant moult raisons, c’est nous condamner à la silicolonisation de la France et de l’Europe, pour reprendre le néologisme parlant du philosophe Eric Sadin. »
« J’en viens à la proposition de loi. L’enjeu qu’elle entend traiter est celui du rééquilibrage de la relation entre les géants du Net ou plateformes structurantes, d’une part, et les consommateurs d’autre part. Elle propose, dans ses deux premiers chapitres, de confier à un régulateur la mission d’orienter le marché de telle sorte que des comportements dommageables ne puissent apparaître. C’est une logique de régulation a priori, ex ante, et d’accompagnement des acteurs. La sanction n’est là que pour crédibiliser la régulation, mais l’idée est de ne pas avoir besoin d’y recourir. La célérité avec laquelle des comportements dommageables pour les concurrents et pour les consommateurs peuvent apparaître dans l’économie numérique justifie de compléter la régulation a posteriori, celle du droit de la concurrence ou des pratiques restrictives de concurrence. »
« La réglementation a posteriori, ex post, n’est en effet pas suffisamment réactive, estime Franck Montaugé. C’est pourquoi il faut repenser la logique de l’action publique. C’est ce qu’envisage la proposition de loi, avec deux points d’entrée que sont la neutralité des terminaux et l’interopérabilité des plateformes. Mais comme je le disais, si la nouvelle régulation que nous proposons est complémentaire de la réglementation ex post que nous connaissons, celle-ci reste nécessaire. Et c’est ce qu’a fait la commission en enrichissant le texte avec un dispositif permettant de garantir la sincérité des interfaces, pour lutter contre ce qu’il est convenu d’appeler les dark patterns, ces techniques de manipulation et de contrainte des utilisateurs-internautes. Et nous proposons que la DGCCRF contrôle les pratiques, dans une logique on ne peut plus classique de protection des consommateurs. »
« Mais le cœur de la proposition de loi est bien d’inventer de nouvelle formes de régulation des plateformes structurantes. Une régulation plus agile, plus efficace, qui ne bride ni n’empêche l’innovation et qui permet de mettre un terme à la dynamique d’enfermement du consommateur que l’on constate aujourd’hui. Nous avons suivi l’avis du Conseil d’Etat et les amendements adoptés en commission visent notamment à assurer la conformité de notre dispositif au droit de l’Union européenne. Sur ce point, la directive dite e-commerce, adoptée au début des années 2000, a montré son inadaptation au contexte économique nouveau. Cette directive consistait, entre autres, à strictement limiter la possibilité pour les États d’édicter des réglementations pesant sur les services de la société de l’information afin d’en favoriser l’essor. Mais ce qu’on constate aujourd’hui c’est que la Chine a les BATX (Baidu, Alibaba, Tencent, Xiaomi), la Russie a aussi ses géants du numérique (Yandex, Vkontakt)… et que l’Europe est dépendante des géants américains ! »
« Monsieur le ministre, l’unité républicaine qui se dessine au Sénat sur ce texte a un sens politique fort, conclut M. Montaugé. Vous le reconnaissez vous-même – il y a urgence à agir – et le Parlement dans son ensemble doit prendre ses responsabilités. Si comme je le crois la chambre haute vote ce texte aussi largement qu’il a été cosigné, il ne tiendra qu’à vous et à votre Gouvernement de le faire voter par l’Assemblée nationale ! De la sorte la France aura donné l’exemple, comme l’Allemagne d’ailleurs, dans un contexte européen où l’on sait que les calendriers de l’action publique effective sont toujours très longs et parfois préjudiciables, comme c’est le cas ici, aux économies nationales ! »