Le lundi 14 juin 2021, le Sénat a entamé l’examen du projet de loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée. Ce texte constitue, selon le Gouvernement “la concrétisation des propositions de nature législative de la Convention citoyenne pour le climat”.
L’examen du projet de loi débute par la discussion générale lors de laquelle interviennent successivement, à la tribune, le ministre, puis le rapporteur, puis les orateurs des groupes. Désigné par les collègues de son groupe, Franck Montaugé est intervenu à la tribune en tant qu’orateur pour exposer, à ce stade, l’analyse de son groupe.
Le sénateur Montaugé a entamé son allocution par une référence historique : « En 1778 déjà, le grand naturaliste et scientifique Buffon écrivait dans “Les Époques de la Nature” : “La face entière de la Terre porte aujourd’hui l’empreinte de la puissance de l’homme”. En décembre 2015 la France devenait, le temps d’une conférence, le phare d’un monde qui prenait la résolution de s’engager dans un changement de paradigme existentiel pour contenir les effets problématiques du réchauffement climatique sur le globe terrestre et l’ensemble du règne vivant (+ 1,5°c par rapport à l’ère préindustrielle ndlr). Pour la première fois de son histoire, l’humanité prenait ainsi acte de son entrée dans l’anthropocène (1) et de l’urgence d’une action collective toute entière tournée vers la durée, la durabilité. »
« Depuis, dans notre pays, des actes législatifs et règlementaires se sont succédés. Beaucoup de déclarations, de communication, une programmation pluriannuelle de l’énergie, une stratégie nationale bas carbone, des filières industrielles qui infléchissent plus ou moins activement leurs stratégies pour s’adapter au temps nouveau… et un constat qui s’impose à tous : à ce rythme- là, nous ne contiendrons jamais le réchauffement dans les limites nécessaires à une planète vivable ! A tel point que l’UE a relevé de 40 à 55% le seuil de réduction des émissions. Alors le texte dont nous allons discuter est nécessaire “oui”, il est important au regard des enjeux que nous avons à relever collectivement “oui” mais il est d’ambition faible ! D’ores et déjà, les mesures ne permettront pas d’atteindre la cible des -55% de gaz à effets de serre d’ici 2030 (et la neutralité des émissions de carbone en 2050 ndlr). Ce n’est pas moi qui le dis, c’est Madame la ministre de la transition écologique elle-même qui nous l’a confié en audition. En réalité et sur le fond, pour le Gouvernement, ce texte est davantage dicté par la contrainte extérieure qu’il ne résulte d’une stratégie assumée de transformation et d’adaptation de la société française aux grandes mutations du monde qui sont à l’œuvre. »
« Le phare de 2015 est bien pâle aujourd’hui. Je crois même qu’il est éteint ! Significative à cet égard est aussi la place qui a été donnée à la démocratie dans le processus de concertation. Si nous trouvons opportune et bienvenue la méthode d’ouverture à la société civile qui a conduit aux propositions de la convention citoyenne pour le climat, nous nous interrogeons sur ce qui restera des propositions formulées. Ce devait être je cite “du sans filtre”, nous constatons que le filtre s’est bouché entre la convention et l’Assemblée nationale. Qu’en est-il aussi dans ce texte de la prise en compte de l’acceptabilité sociale indispensable à la réussite de la transition ? “Bonnets rouges”, “gilets jaunes”, on a mis sous le tapis les problèmes, le temps que le soufflé retombe. Le peuple de la ruralité le sait parce qu’il le vit au quotidien. Rien à cet égard n’est résolu sur le fond et nous ferons des propositions pour donner à la ruralité la reconnaissance qu’elle mérite de la part de la Nation. »
« L’occasion nous est donnée de fonder juridiquement la notion d’ “aménités rurales”. J’espère que notre Chambre haute saisira là l’occasion de permettre la reconnaissance des externalités positive de la ruralité dont bénéficie l’ensemble des français. De cette conversion du regard pourraient découler de nouvelles politiques en faveur des populations rurales et des agriculteurs. Et s’il en est une pour laquelle nous sommes particulièrement inquiets, c’est bien celle du développement et de l’accueil des populations nouvelles en milieu rural. Le Zéro Artificialisation Nette (ZAN) ne doit pas brider, annihiler les capacités d’accueil des communes rurales françaises. Sur ce point, la majorité de l’Assemblée nationale n’a pas pris ses responsabilités. Elle reste sur une démarche d’imposition verticale définie par décret, échappant donc à tout débat démocratique, une fois de plus ! A terme, les maires, les élus locaux ne pourront que constater les effets négatifs d’une procédure qui leur a complètement échappé. Pour le groupe Socialiste, Ecologiste et Républicain, ce n’est pas acceptable et il ne suffit pas, comme la commission des affaires économiques l’a proposé, de s’affranchir de l’objectif pour que le problème disparaisse. Il faut, dans la négociation avec les acteurs concernés, construire un calendrier réaliste qui nous permette d’être aux rendez-vous de 2030 et 2050. C’est possible, mais pas avec le texte proposé. »
« Nous, nous avons été constructifs et responsables sur cette question. Nous pensons que la transition, l’économie agricole et les aspirations de nombreux français à la ruralité sont compatibles et qu’ils doivent être saisis comme une chance, un levier de développement ! Dans le même esprit, nous proposerons que toutes les formes de production d’alimentation de qualité soient mieux reconnues. En matière de politique énergétique, peut-on penser un seul instant qu’”HERCULE” avec l’affaiblissement d’EDF et de ses filiales nous permettra de mieux répondre aux enjeux de la programmation pluriannuelle de l’énergie dont la trajectoire reste par ailleurs floue et incertaine ? Les mesures d’accompagnement que contient ce texte ne sont pas à la hauteur des difficultés du quotidien que rencontrent beaucoup de français. Les aides au logement, à la rénovation font fi des moyens nécessaires pour les ménages de conditions modestes. Nous ferons des propositions pour qu’ils soient mieux aidés. La question qui se pose aujourd’hui est donc aussi celle du débat public. Il faut éviter un rejet de la société. La transition ne se fera pas sans les français ou contre eux ! A cet égard le texte est insuffisant et nous regrettons que toutes nos propositions visant à développer le dialogue social aient été rejetées en commission. »
« Pour terminer, je voudrais avec mon groupe souligner les grands manques de ce texte. Des pans entiers de l’économie, générateurs de gaz à effet de serre, ont été laissés de côté. La gouvernance envisagée échappe largement au Parlement et aux citoyens, une fois de plus. Les questions touchant à la publicité ont été expurgées. Sujet tabou qui illustre parfaitement la difficulté à prendre en compte la dimension culturelle et anthropologique de la transition. La clé de notre efficacité collective nationale se situe dans le pilotage des processus, la fixation d’objectifs clairs et concrets pour chaque acteur, les moyens financiers publics d’accompagnement, l’évaluation permanente. L’État doit donc aussi se remettre en question par rapport aux enjeux de transformation de la société. La situation budgétaire générée par la pandémie, intenable, se rappelle à nous. Comment allez-vous gérer la dette publique abyssale, la réduire tout en soutenant les acteurs de la transition et les français dont la vie s’est dégradée pendant les 18 mois de Covid ? Le “quoi qu’il en coûte” qui a prévalu jusqu’ici va-t-il être prolongé au service du financement de la transition du modèle socialement inclusif que nécessite l’urgence de la situation et le retard que nous avons déjà pris ? Où allez-vous trouver les ressources pour mener à bien, dans les temps impartis, les transitions à opérer dans les domaines les plus contributeurs au réchauffement climatique ? Dans le secteur des entreprises et de l’économie en général, la préoccupation majeure est à la relance immédiate et à la résorption de la dette Covid accumulée. Alors ce texte, je vous le dis, ne pourra être dissocié du Projet de Loi de Finances pour 2022 qui lui donnera, ou pas, les moyens de son existence. Je vous remercie. »
(1) – Anthropocène : Ère de l’Homme. Terme relatif à la chronologie de la géologie proposé pour caractériser l’époque de l’histoire de la Terre qui a débuté lorsque les activités humaines ont eu un impact global significatif sur l’écosystème terrestre. — source Wikipédia