En remettant, le 21 juin dernier à Mme Jeanne Robert, la croix de chevalier de la Légion d’honneur, le préfet du Gers n’a pas seulement réparé un oubli ayant pris la forme d’une injustice, il a signifié aussi que plus de 70 ans après les funestes années de guerre, la Nation n’était pas près d’oublier ces hommes et ces femmes, souvent anonymes, ayant pris tous les risques pour faire triompher les valeurs de liberté, d’égalité et de fraternité qui fondent notre République.
Jeanne Robert aura donc attendu d’avoir atteint l’âge respectable de 101 ans pour que son engagement exemplaire soit officiellement reconnu. Cet hommage tardif n’enlève rien, bien au contraire, à l’exemplarité d’une vie incarnant l’esprit de résistance. Engagée volontaire de la première heure, la jeune institutrice de Lille est recherchée par la Gestapo dès le mois de juin 1941. Passée en zone libre, elle réussit à se faire nommer à Castelnau-sur-l’Auvignon. C’est dans son logement de fonction qu’elle crée le réseau de résistance Victoire. Chez elle, elle reçoit des agents des services secrets alliés, dont le fameux lieutenant-colonel anglais George R. Starr, alias « Hilaire », à l’origine de la création du réseau SOE « Hilaire-Buckmaster », l’un des plus vaste et efficace réseau de résistance en France.
Jusqu’au 18 octobre 1943, date de son départ vers l’Angleterre, elle participe dans toute la région à nombre d’opérations clandestines, risquant sa vie et à maintes reprises l’arrestation. Quelques mois plus tard, le 21 juin 1944, le village résistant sera le théâtre d’une cruelle bataille qui fera quatorze victimes dont trois civils. Parmi les combattants, des Français du réseau Victoire, des Britanniques du SOE, des Italiens de la brigade Marcel-Langer et des guerilleros espagnols. La destruction par les maquisards de la tour carrée qui abritait un dépôt de munition entraînera, en représailles, l’incendie par les Allemands de toutes les maisons du village. Après la libération, Castelnau-sur-l’Auvignon recevra la croix de guerre avec étoile de vermeil.
Fidèle au village, Jeanne Robert y passera le reste de sa vie, ne manquant jamais la cérémonie qui, chaque année le 21 juin, rend hommage aux sacrifiés de 1944. L’école de Castelnau porte aujourd’hui son nom et son histoire est régulièrement enseignée aux élèves gersois. L’émotion simple et sincère avec laquelle elle a reçu sa croix de chevalier de la Légion d’honneur, les mots qu’elle a prononcés pour en partager le mérite avec ses anciens compagnons de résistance aujourd’hui disparus, témoignent d’un caractère porté à l’abnégation.
A 101 ans, Jeanne Robert est toujours la femme de convictions qu’elle était déjà il y a plus de 70 ans. Elle est l’incarnation de l’engagement, de la fidélité et du courage, des vertus précieuses, dont notre humanité continue d’avoir désespérément besoin. L’exemple de sa vie simple et droite doit être partagé avec le plus grand nombre, car il est non seulement inspirant mais aussi porteur d’espoir. Parce que nos valeurs les plus chères ne sont pas négociables, parce qu’il est bon de savoir que quelles que soient les circonstances, il y aura toujours des hommes et des femmes comme Jeanne Robert pour les défendre.
Franck Montaugé