Le 12 avril dernier, dans le cadre de la discussion d’un nouveau projet de résolution européenne concernant la future PAC, je suis intervenu devant la commission des Affaires européennes et la commission des Affaires économiques pour faire partager ma conviction sur le rôle particulier que peut et que doit jouer l’agriculture dans l’obligation de maîtrise des changements climatiques et de préservation de la biodiversité, au-delà de son rôle nourricier et de la qualité sanitaire et gustative de ses productions.
Ces enjeux se posent à l’échelle de la planète, pour toute l’humanité et l’ensemble du règne vivant, dès aujourd’hui et pour demain. Des enjeux que l’agriculture en tant que fait de civilisation doit contribuer significativement à relever et pour lesquels elle doit être justement reconnue. Cette conviction, brièvement exprimée comme une incise dans une discussion sur la future politique agricole commune, mérite d’être explicitée.
Cette idée, c’est que l’agriculture, trop souvent dénigrée et montrée du doigt comme étant l’une des grandes responsables de la pollution et de l’appauvrissement de nos sols, est l’activité humaine qui a provoqué ou accompagné, comme un marqueur, mais surtout comme un acteur, tous les grands changements de civilisation. Par exemple, lorsque nos lointains ancêtres ont abandonné la chasse et la cueillette, qu’ils ont cessé d’être nomades et ont alors pu se mettre à cultiver les plantes et domestiquer les animaux, ils ont enclenché un premier grand changement civilisationnel.
Aujourd’hui, nous sommes dans une période de l’histoire humaine que les spécialistes et notamment les géologues appellent l’anthropocène (1). Des philosophes, des anthropologues utilisent aussi ce terme pour qualifier cette période de la vie sur terre pour laquelle, pour la première fois de son histoire, l’Homme, par les conséquences écosystémiques négatives de son activité, modifie les grands équilibres.
Et je crois, à l’instar de ce qui s’est passé il y a des milliers d’années, que l’agriculture, dans ce contexte d’anthropocène et parce qu’elle a un pouvoir de levier considérable sur l’organisation de nos sociétés à côté et en lien avec l’industrie, a en grande partie les clefs de la maîtrise du devenir humain. D’un point de vue philosophique comme d’un point de vue politique, les citoyens et les élus que nous sommes devraient intégrer cette notion pour penser l’avenir.
Le débat sur le carbone que je citais en exemple ne nous offre-t-il pas la meilleure occasion qui soit de faire de l’agriculture le levier et le moteur du changement que tous les spécialistes du climat et des questions environnementales appellent de leurs voeux pour sauver l’humanité? Le point central du débat sur le carbone est celui de la valeur qu’on lui accorde. Je suis inquiet, je l’ai dit et le redis aujourd’hui, quant à notre capacité à imposer une évolution du prix du carbone. Il y a certes une trajectoire prévue en matière de valorisation du carbone, mais je reste inquiet quant aux capacités de notre pays et de la communauté internationale à l’échelle européenne et mondiale de la faire respecter en l’intégrant dans tous les processus décisionnels, qu’il s’agisse de ceux des entreprises, des Etats ou des particuliers que nous sommes tous.
Je terminais mon bref propos en faisant la réflexion suivante : l’agriculture est critiquée. Est-elle plus appréciée que dénigrée ? Parfois on a l’impression qu’on en parle plus souvent pour la dénigrer que pour l’apprécier à sa juste valeur dans toute sa diversité. Nous avons, avec ce sujet de l’environnement et de l’avenir de l’humanité, l’occasion de la mettre en avant, de la valoriser dans ce qu’elle est capable de mieux et d’absolument nécessaire pour notre société. Ne manquons pas cette occasion !
La proposition du groupe de travail sénatorial de suivi de la PAC consistant à créer une «prestation pour service environnemental » (PSE) rendu par les agriculteurs illustrerait, tout en valorisant mieux le travail de l’agriculteur, cette contribution de l’agriculture aux enjeux planétaires.
(1)- L’anthropocène est un terme relatif à la chronologie de la géologie proposé pour caractériser l’époque de l’histoire de la Terre qui a débuté lorsque les activités humaines ont eu un impact global significatif sur l’écosystème terrestre. Ce terme a été popularisé à la fin du XXe siècle par le météorologue et chimiste de l’atmosphère Paul Josef Crutzen, prix Nobel de chimie en 1995, pour désigner une nouvelle époque géologique, qui aurait débuté selon lui à la fin du XVIIIe siècle avec la révolution industrielle, et succéderait ainsi à l’Holocène. L’anthropocène serait la période durant laquelle l’influence de l’être humain sur la biosphère a atteint un tel niveau qu’elle est devenue une « force géologique » majeure capable de marquer la lithosphère. L’anthropocène est un concept de plus en plus utilisé dans les médias et la littérature scientifique mais toujours discuté par la communauté scientifique géologique – spécifiquement au sein de la commission internationale de stratigraphie de l’Union internationale des sciences géologiques(UISG) – qui détermine les subdivisions de l’échelle des temps géologiques. Depuis 2005, un groupe international d’experts scientifiques, le Group on Earth Observations (GEO), a été mis en place pour observer la Terre et mesurer notamment les conséquences des activités humaines. (source Wikipédia)