Le sénateur Franck Montaugé a participé, jeudi 10 mai à L’Isle-de-Noé, à la cérémonie de commémoration de l’esclavage, des traites et de leur abolition, un événement organisé chaque année au pied de la stèle Toussaint Louverture, cet ancien esclave devenu général. Journée commémorative de l’abolition de l’esclavage en France métropolitaine, la date du 10 mai correspond à l’adoption par le Parlement, le 10 mai 2001, de la loi Taubira «reconnaissant la traite négrière transatlantique et l’esclavage ». A l’Isle-de-Noé d’où est originaire la famille des comtes de Noé, on entretient fidèlement la mémoire d’un épisode de la longue et douloureuse histoire de l’abolition de l’esclavage: l’affranchissement, en 1776 par Louis-Pantaléon de Noé, de l’esclave Toussaint Louverture qui deviendra plus tard général de l’armée républicaine, puis chef de file de la révolution haïtienne.
Cette cérémonie à laquelle ont participé les enfants de l’école de L’Isle-de-Noé s’est déroulée en présence de Jean-Jacques Ortholan, maire de L’Isle-de-Noé, Catherine Séguin, préfète du Gers, du député Jean-René Cazeneuve, de Fatma Adda conseillère régionale et des conseillers départementaux Gérard Castet et Nathalie Barrouillet. Les participants ont pu découvrir une oeuvre de l’artiste béninois Aureil Patrick Bessan évoquant la traite négrière intitulée « Le Navire négrier ». Voici le texte du discours prononcé à cette occasion par le sénateur Franck Montaugé :
Parmi les institutions de la République française, il en est une qui entretient de manière particulièrement vivace la mémoire de l’esclavage et des traites, c’est le Sénat. C’est en effet le sénateur Victor Schoelcher qui est l’initiateur du décret d’abolition de l’esclavage par la France signé le 27 avril 1848, sous la IIe République, la forme du pouvoir politique de l’époque étant ici décisive. Et s’il est une commune métropolitaine française qui est particulièrement attachée à ce fait majeur de notre Histoire, c’est bien la commune de l’Isle-de-Noé.
Pour les raisons qui ont été rappelées par Monsieur le Maire et parce que l’affranchissement de Toussaint Louverture annonçait le grand mouvement des abolitions qui allait se déployer dans de nombreux pays du monde occidental au cours du XIXe siècle, tout en reflétant un progrès considérable de la conscience morale d’un homme puissant, Louis-Pantaléon de Noé propriétaire de la Maison, de la plantation Breda en Haïti. A ces deux raisons particulières qui me touchent personnellement s’ajoute pour nous tous, en tant que citoyens, le devoir de prendre appui sur la connaissance du passé pour comprendre le présent et construire l’avenir.La quantification du phénomène ne fait pas l’unanimité des spécialistes mais les trois traites négrières auraient concerné plus de 40 millions d’êtres humains. La traite orientale vers le monde arabo-musulman, 17 millions, celle interne au continent africain, 14 millions, et l’occidentale, encore appelée « atlantique », 11 millions. Au total, ce sont plus de 40 millions d’hommes, de femmes et d’enfants qui ont été victimes de ce système de pouvoir que le chercheur du CNRS et professeur au Collège de France Alain Testard qualifie d’Institution. Et il dit en substance que «sous l’esclavage git la question du pouvoir », et il démontre qu’il existe un lien direct entre l’esclavage et l’émergence de l’Etat.
Aimé Césaire affirmait, lui, que ce qui s’était passé pendant des siècles était irréparable. Et en écho à cette phrase le Président Hollande disait le 10 mai 2017, lors de la commémoration nationale dans le Jardin du Luxembourg : « On ne peut effacer le passé mais on doit le dépasser.»
Les grands textes législatifs comme la loi Taubira de 2001, les journées de commémoration comme le 10 mai, les lieux comme ici à l’Isle-de-Noé, les symboles comme la canne qui est au musée de Mirande, les écrits historiques, scientifiques, littéraires ou poétiques, les institutions comme le « Mémorial ACTe » à la Guadeloupe ou la future « Fondation pour la mémoire de l’esclavage, des traites et des abolitions » lancée par le Président Hollande et dont la direction vient d’être confiée au Premier Ministre Jean-Marc Ayrault par le Président Macron sont autant de jalons, de points d’appui pour réaliser, dans l’objectif d’un progrès des consciences, ce dépassement nécessaire.
A propos de l’avenir de notre monde, un monde profondément marqué par les effets directs (humains) et indirects (économiques et politiques) de l’esclavage et des traites, Edouard Glissant écrivait (il parle de l’avenir) : «Nous entrerons alors dans l’archipel inédit où les communautés humaines pourront se connaître, s’équivaloir, et changer en changeant sans pour autant se perdre et se dénaturer.» Le message qu’il y a dans cette phrase c’est celui de la promesse républicaine, le message d’une promesse qu’il nous revient de concrétiser pour le plus grand nombre de nos congénères en difficulté, en souffrance.
L’esclavage existe encore dans le monde et parfois même sur le sol français, des affaires à dimension diplomatique nous l’ont rappelé il y a encore peu. L’asservissement, sans reposer sur le principe de la propriété mobilière de l’être humain, prend aujourd’hui d’autres formes, toutes aussi inadmissibles que l’esclavage et dont très souvent les femmes sont les premières victimes.
Le message d’Edouard Glissant fait écho aux souffrances actuelles du monde et surtout d’êtres humains jetés pour des raisons diverses sur les routes de l’exil… quand ils n’ont pas été martyrisés. Dans le village-monde où nous vivons, cette question nous concerne, nous Français, Européens, Occidentaux, et nous devons contribuer à sa résolution, à proportion des facultés qui sont les nôtres. Traitons-là sans naïveté, en ayant en ligne de mire la société qu’Edouard Glissant appelle de ses vœux, en politique responsable et en poète visionnaire !
Pour terminer, vous avez peut-être vu sur Arte il y a quelques jours une série documentaire intitulée « Sur les routes de l’esclavage ». Si ce n’est pas le cas je vous la conseille, il s’agit d’une fresque historique, construite à partir des travaux de chercheurs et d’historiens de renom, du monde entier, et couvrant plus de deux millénaires. En conclusion de ce travail, M. Vincent Brown, lui-même descendant d’esclaves, professeur à l’université d’Harvard dit la chose suivante, je le cite : « On aura vraiment progressé le jour où on reconnaitra tous l’esclavage comme faisant partie de notre histoire commune. L’histoire de l’esclavage n’est pas l’histoire des noirs ni juste celle de la colonisation blanche. L’histoire de l’inégalité des hommes est notre héritage et nous devons tous la combattre. Les blancs ne doivent pas se considérer uniquement comme les descendants des propriétaires d’esclaves mais aussi comme des descendants d’esclaves, les noirs comme des descendants de propriétaires d’esclaves. On doit considérer qu’on a hérité des structures fondamentales de ces sociétés. Ce qu’on fait de ces inégalités dépend entièrement de nous ! C’est ça qui peut vraiment nous aider à aller de l’avant en tant que société.»
C’est un Américain qui parle, mais ce qu’il dit est aussi transposable à l’histoire de notre pays, la France. Je fais mienne cette parole qui est aussi un message que doivent entendre les puissants du monde contemporain, les puissants n’étant pas toujours là où on les croit.
Que vivent dans le cœur des hommes et des femmes, sur toute la Terre, la Liberté, l’Egalité et la Fraternité ! C’est le message que nous ont transmis Louis-Pantaleon de Noé, François-Dominique Toussaint-Louverture, Victor Schoelcher et bien d’autres. Sachons l’entendre pour le monde que nous avons en partage et en responsabilité de construire.
Vive la France ! Vive la République Universelle !
Revoir ici la série documentaire « Les Routes de l’esclavage »