Invité le 2 août dernier à participer à l’inauguration du 29e festival d’Astronomie de Fleurance, le sénateur du Gers Franck Montaugé s’est exprimé sur le thème de la science et de la place que lui accorde notre société. Voici le texte du discours prononcé:
« Dans un monde en profonde mutation, la science joue un rôle prépondérant et la place comme les moyens que la Nation lui accorde est une question politique majeure. C’est pour moi un motif de préoccupation, dans un contexte où l’arbitrage entre le court terme et le long terme se termine souvent au détriment du monde de demain, monde à construire sur des bases de pensées novatrices sur bien des sujets, dans le contexte de l’anthropocène (1) et des processus néguentropiques (2) qu’il appelle certainement.
On sait par exemple la qualité de l’école de mathématiques française, on connaît l’excellence de nos filières d’enseignement supérieur. La question est aujourd’hui de garder nos talents dans un contexte d’offre et de demande sur le marché de la matière grise qui n’est financièrement pas en notre faveur ! C’est un point important qui ressort des travaux d’une commission d’enquête sénatoriale sur la souveraineté numérique que je préside en ce moment. Nous publierons notre rapport en octobre prochain.
Notre capacité, en tant qu’État-Nation et dans le cadre européen, à être et à demeurer une puissance de création dans ce domaine du numérique, conditionnera notre place en Europe et dans le monde. Par exemple et entre autres sujets, des moyens que nous consacrerons à très court terme à la formation et au financement de thésards, des data scientists par exemple, dépendra largement notre capacité à peser dans le concert économique international et à répondre aux besoins de notre population. Si nous ne sommes pas à la hauteur, la colonisation intérieure, celle des esprits et de notre économie, sera inéluctable. L’accès public aux données de masse, dont les données scientifiques, est aussi un enjeu et la question de la disponibilité des données, source potentielle de valeur, doit être traitée politiquement à un niveau adapté. Mais l’avènement du numérique appelle aussi le pas de côté, le recul critique salutaire sur ce qu’il est, ce qu’on en fait et ce qu’il nous fait. Petite illustration de ce questionnement:
Il y a quelques mois, grâce à André Daguin, Michel Casse et quelques autres grands intellectuels que je salue, nous recevions dans le Gers le philosophe, linguiste et philologue Heinz Wismann auteur, entre autre, d’un ouvrage intitulé Penser entre les langues. D’une certaine manière Heinz Wismann nous dit dans cette réflexion la subtilité et la richesse créatrice, inépuisable, des langues, jusque dans leurs imperfections. Leur pouvoir de Liberté aussi. Prenons garde, avec et grâce à quelques philosophes de la technique qui nous y invitent, à ce que les traducteurs qui vont envahir sous peu le marché ne taillent la langue jusqu’à l’os comme le disait en substance George Orwell dans sans roman 1984.
L’attrait pour des études scientifiques a aussi régressé dans notre pays au cours des années passées est c’est un motif d’inquiétude. Alors merci pour le travail que certains d’entre vous, je pense à Bruno Monflier, font à longueur d’année auprès de nos jeunes pour donner le goût et entretenir cette flamme qui brule toujours au cœur de l’enfant avide de comprendre le monde. J’ai pu le mesurer en tant que maire d’Auch. En mettant dans la bouche de Pantagruel que Science sans conscience n’est que ruine de l’âme, Rabelais nous dit que l’humanité ne doit pas échapper à l’homme. C’est peut-être la grande question de notre temps, depuis 1945 plus encore ? Et je crois que le festival de Fleurance répond chaque année, dans la diversité des thèmes abordés, à cette question majeure.
Le grand mathématicien français Jean Dieudonné (membre de l’équipe Bourbaki) a écrit dans les années 80 un très beau livre de vulgarisation dont le titre pourrait presque résumer l’esprit du festival d’Astronomie de Fleurance: Pour l’honneur de l’esprit humain. Merci à vous tous pour l’honneur que vous rendez à l’esprit humain ! Bon festival ! »
1- Anthropocène: l’ère de l’Homme, est un terme relatif à la chronologie de la géologie proposé pour caractériser l’époque de l’histoire de la Terre qui a débuté lorsque les activités humaines ont eu un impact global significatif sur l’écosystème terrestre. — source Wikipedia
2- Néguentropie: le contraire de l’entropie, terme qui caractérise le degré de désorganisation, ou d’imprédictibilité du contenu en information d’un système. La néguentropie est l’entropie négative. Elle se définit par conséquent comme un facteur d’organisation des systèmes physiques, biologiques, et éventuellement sociaux et humains, qui s’oppose à la tendance naturelle à la désorganisation (entropie). — source Wikipedia