« En marchant, le 21 juin dernier, sur le « chemin de mémoire » de Castelnau-sur-l’Auvignon; en me recueillant, ce dimanche 5 juillet, devant les tombes des 76 tués du maquis de Meilhan; en écoutant, ce jeudi dans le bois de Bascaules à Toujouse (1) ce beau Chant des Partisans dont je n’oublie pas que les tout premiers feuillets ont été imprimés le 25 septembre 1943 à Auch dans le premier numéro des Cahiers de Libération (ce qui valut aux cinq héros (2) clandestins de l’imprimerie Moderne d’être arrêtés et déportés), je me dis que ces rendez-vous commémoratifs annuels, ces rites du souvenir, ne doivent pas être de simples événements réservés aux officiels de la République, aux porte-drapeaux et autres dépositaires de la mémoire combattante, mais qu’ils devraient au contraire être des moments de partage et de retrouvailles entre tous, autour de ce qui forge et forgera encore une histoire commune, notre histoire.
Chaque année aux beaux jours revenus, nous avons pris l’habitude du recueillement dans ces hauts-lieux de la résistance où, de juin à août 1944, des hommes et des femmes sont tombés sous les balles allemandes ou collaborationnistes. 71 ans après, il importe que l’on se raconte encore et encore ce qui s’est passé le 21 juin 1944 à Castelnau-sur-l’Auvignon, le 7 juillet à Villefranche-d’Astarac, le 26 juillet à Viella, le 6 août à Toujouse dans le bois de Bascaules ou à Auch et L’Isle-Jourdain fin août pour libérer notre département. Castelnau, ce village gersois dans lequel s’était établie une tête de pont de la Résistance a été incendié par l’occupant au terme d’âpres combats contre le bataillon de l’Armagnac du commandant Maurice Parisot et de George Starr, l’espion anglais du SOE. 14 hommes, des résistants qui avaient eu le courage de prendre les armes, sont tombés ce jour-là. En se retirant, les maquisards ont fait sauter l’une des tours du château médiéval dans laquelle ils avaient entreposé leurs munitions. Le village qui, fort heureusement, avait été évacué de ses habitants avant le début des combats, a été détruit en représailles. Castelnau-sur-l’Auvignon est aujourd’hui la seule commune du Gers titulaire de la Médaille militaire, cette « médaille des braves » qui n’est décernée que pour des services militaires exceptionnels.
Les faits seront plus tragiques encore le 7 juillet à Villefranche-d’Astarac, lorsqu’au petit matin, plus de mille soldats allemands encerclent les 95 hommes du maquis de Meilhan, un groupe commandé par le docteur Joseph Raynaud. Depuis le 24 juin, ces hommes décidés mais faiblement armés s’étaient établis dans deux fermes, au « Priou » et à « Larrée », des lieux-dits en bordure de bois. La bataille, d’une grande violence, ne durera pas plus de deux heures mais fera de nombreuses victimes: 76 en tout et parmi elles, quatre otages, des voisins agriculteurs que les Allemands furieux sont allés chercher pour les fusiller sans autre forme de procès.
En écoutant, dimanche, l’appel des 76 noms cités un à un par Valérie et François, les petits-enfants du docteur Joseph Raynaud, en regardant les œillets qui fleurissent chacune des 76 tombes creusées sur les lieux-mêmes du massacre, je me dis que cet instant de recueillement n’a pas pour seule vocation d’entretenir le souvenir individuel de chacun de ces héros magnifiques du 7 juillet 1944. Il est aussi l’occasion de nous rappeler ce que nous devons aujourd’hui à leur sacrifice d’hier: 621.960 heures de paix, 25.915 jours sans guerre, 71 ans sans tueries ni destructions de masse. Couchés dans leurs tombeaux, ils continuent de nous adresser un message que nous ferions bien d’entendre et de diffuser à notre tour. Alors que la barbarie se déchaîne toujours et encore au Moyen-Orient et en Afrique, alors que la menace étend son ombre jusque sur nos villes de province, ils nous disent ceci: « On ne transige pas avec les valeurs de la République, car ceux qui l’ont fait en 1940, sous couvert d’une prétendue révolution nationale, ont conduit le pays à sa ruine et nous, au tombeau. »
Le sacrifice de ces hommes courageux n’est pas vain et il ne le sera jamais, tant que nous, leurs enfants et petits-enfants, puis demain tous leurs descendants à venir, feront vivre cet idéal de Liberté, d’Egalité et de Fraternité pour lequel ils ont pris les armes. Le 19 août prochain, comme bien d’autres villes en France, Auch commémorera le jour de sa libération. Participer à cet événement n’est pas faire acte de complaisance mémorielle ni une façon malsaine d’exalter un passé glorieux. C’est une manière d’être au présent, fier de ses convictions, confiant dans ces valeurs de démocratie que tant d’ennemis tapis dans l’ombre et cherchant, ça et là, à imposer la terreur, voudraient abattre. Nous sommes tous les filles et les fils de ces résistants morts pour la France. Souvenons-nous de ces glorieux parents et construisons un avenir qui les honore. Vive la République, vive la France! »
Franck Montaugé
1- Téléchargez ici le discours du sénateur prononcé à Toujouse
2- Marie-Louise Laffargue, Jeanne Daguzan, Charles Borel, Louis Groullier, Louis Radix