Le sénateur Franck Montaugé est intervenu jeudi après-midi à la tribune du Sénat dans le cadre de la discussion du volet « économie » du projet de loi de finances 2018. Voici le texte de son intervention :
« Le budget 2018 de la mission économie s’inscrit dans une trajectoire qui conjugue notamment deux objectifs étroitement liés: le redressement économique et productif de la France et la contribution à la restauration progressive des comptes publics de la Nation. A cet égard il s’inscrit dans la continuité du précédent. L’objectif de la mission Economie est de favoriser la mise en place d’un environnement propice à une croissance durable et équilibrée de l’économie française et de l’emploi ainsi qu’au redressement productif de la France. Je ne reviendrai pas sur le niveau des crédits des quatre programmes pour lesquels on constate une certaine stabilité. Mon propos sera plutôt centré sur la question de la place et du rôle de l’Etat dans la politique industrielle dont notre pays a besoin pour retrouver le rang et les emplois qu’il n’aurait jamais dû perdre.
« Sur la question majeure de la place de l’industrie dans notre production, nous partons de loin et la régression de la part de la production industrielle au cours des décennies passées a été considérable, se traduisant par un niveau de perte d’emploi de plus de 3 millions depuis 1980. Après avoir cru, pendant plus de 30 ans, que les pays industrialisés s’acheminaient tous vers une société postindustrielle dans laquelle les activités de service supplanteraient les activités de production, on constate aujourd’hui l’émergence d’un modèle hyper-industriel fondé sur la convergence de la productique, du numérique et des services. Les coûts très bas du transport maritime engendrant la spécialisation des productions et la reconfiguration des chaines de valeur à l’échelle du monde.
« Dans ce contexte la question de fond qui se pose est relative à la définition de la stratégie industrielle que le gouvernement entend mener pour relever les grands défis de la compétitivité et de l’emploi dans un contexte de mondialisation et donc de concurrence exacerbée. C’est l’objet du programme 305 « stratégie économique et fiscale », et du soutien aux entreprises qui s’adaptent aux modes collaboratifs qui prévalent désormais pour rester dans la course, c’est l’objet du programme 134 « développement des entreprises et régulations ».
« Sur la question de la transformation des filières, en quoi Mme la Ministre vous distinguez-vous de la politique mise en œuvre depuis la sortie du rapport Gallois dressant le constat d’un possible décrochage industriel de la France, politique qui s’est traduite par la démarche dite de Nouvelle France Industrielle déclinée initialement sous la forme de 34 plans regroupés en 9 solutions industrielles et un projet dit « Usine du futur » ? Sans oublier l’instance de partage que permet « l’Alliance des industries du futur ». Quelle appréciation portez-vous sur l’écosystème qui a été mis en place dans notre pays avec les industriels eux-mêmes ? Des industriels qui nous disent quand nous les rencontrons qu’ils ont besoin de stabilité et de visibilité à l’égard des mesures qui leur sont appliquées. Et quelle est ici la valeur ajoutée que le gouvernement entend apporter par rapport à ce qui existe aujourd’hui et qui produit des résultats encourageants ? Et donc quelle place, forcément nouvelle, l’Etat doit-il prendre dans ce contexte ? Doit-il se limiter au développement de politiques fiscales et d’allègement des charges comme le traduit le budget 2018 ou doit-il aller plus loin ? Personnellement je crois qu’il faut aller plus loin dans le soutien à l’organisation industrielle du futur et à la montée en gamme. »
« L’Etat ne peut se limiter à agir sur la compétitivité coût qui n’est qu’aspect de la problématique de la compétitivité. Quelle politique de soutien l’Etat entend-il aussi apporter à l’économie industrielle de nos territoires, souvent ruraux, souvent structurés en pôles de compétitivité, quand on constate dans ce budget le très faible niveau de crédits que vous allez y consacrer et que cette ligne est même en diminution de 1 million d’euros ? En audition, le ministre de l’Economie a évoqué le concept d’Etat stratège. Qu’entendez-vous concrètement par cette notion ? Lorsque l’Etat est au capital des entreprises et en accompagnement lorsqu’il n’y est pas. A cet égard, nous avons besoin de clarification de la doctrine du gouvernement en matière de participation de l’Etat au capital des entreprises œuvrant dans des domaines affectant l’intérêt général et la souveraineté nationale. L’audition récente de M. le ministre de l’Economie par la commission des affaires économiques, à propos notamment d’Alstom et de STX, ne nous a pas permis de comprendre où l’Etat veut aller dans sa politique de participation. Il ne faudrait pas qu’à terme l’Etat qui se veut stratège se transforme en spectateur ou commentateur de décisions prises par d’autres au détriment de notre souveraineté et de nos emplois. »
« A partir de 2012, l’Etat s’est doté d’une doctrine en matière d’actionnariat qui vise, je cite « pour les entreprises jouant un rôle stratégique d’intérêt national, à protéger les intérêts économiques et patrimoniaux du pays en mettant en œuvre les stratégies économiques, industrielles et sociales adaptées, garante de la préservation sur le territoire national des emplois et des compétences ». Cette doctrine a été confortée par l’instauration du droit de vote double qui permet de renforcer le rôle de l’Etat au sein des entreprises. Et une nouvelle gouvernance des entreprises à participation publique a aussi vu le jour dotant l’Etat de plus grandes capacités d’influence dans les sociétés où il détient une majorité du capital. Aujourd’hui, la vente de 10 milliards d’euros de titres va diminuer drastiquement les actifs de l’Etat. Au bénéfice de qui aura lieu cette cession massive de titres ? Et avec quel niveau de recette financière pour le budget de l’Etat quand on sait qu’actuellement le rendement de ces actifs est supérieur à celui des marchés ? »
« Quant au fonds de soutien à l’innovation qu’une partie des recettes de cession est censée alimenter, comme le souligne le rapport pour avis de nos collègues Chatillon et Lurel sur le compte d’affectation spécial Participations financières de l’Etat, il devrait financer l’innovation à hauteur de 2 à 300 millions d’euros. L’Etat dépense lui, par ailleurs, 8,5 milliards d’euros dont 2,2 milliards d’euros hors dépenses fiscales. Nous ne sommes pas du tout dans le même ordre de grandeur ! On ne comprend pas la nécessité qu’il y aurait à céder ces 10 milliards d’euros d’actifs. On voit par cet exemple qu’il y a un grand besoin de clarification de la doctrine de l’Etat en matière de participation au capital dans le cadre de la stratégie de développement économique qu’entend mettre en œuvre le Gouvernement. D’autres points mériteraient d’être abordés mais je conclurai en disant que compte tenu des incertitudes qui pèsent pour l’instant sur la stratégie que le Gouvernement entend développer en matière économique, nous nous abstiendrons. »