Demandée par le groupe CRCE (communiste républicain citoyen et écologiste), la commission d’enquête sénatoriale présidée par Hervé BAZIN (groupe Les Républicains) a restitué ses travaux le 16 mars 2022 sur le rapport de Madame Éliane ASSASSI (CRCE).
Mandaté par son groupe, Franck Montaugé a participé à ces travaux en tant que vice-président de la commission d’enquête.
Le sénateur Montaugé indique qu’« au-delà de la prise en compte urgente et nécessaire par le gouvernement des 19 recommandations* proposées, le travail de la commission d’enquête servira de base à la rédaction et à la discussion dans l’année d’une proposition de loi que je souhaite la plus transpartisane possible compte tenu du consensus qui s’est dégagé au stade de la commission d’enquête. Ce qui est en jeu ici, c’est la transparence de notre fonctionnement institutionnel et démocratique et l’avenir de la République dont le caractère de « bien commun » doit être préservé des influenceurs privés… très en cours dans les temps actuels ».
En sus des propositions formulées, un des faits marquants de cette commission d’enquête a été l’annonce par le président BAZIN, d’un dépôt de plainte en Justice pour « soupçon » de faux témoignage.
En effet, le patron France de Mac Kinsey (cabinet par ailleurs le plus utilisé par l’État) a indiqué sous serment aux commissaires « Je le dis très nettement : nous payons l’impôt sur les sociétés en France. ».
Vérifications faites auprès du fisc, Mac Kinsey ne paie rien depuis au moins 10 ans et cela grâce à des frais dits de « transferts » au moins égaux aux bénéfices réalisés en France et facturés par la société mère du Delaware – paradis fiscal des Etats-Unis – au bureau parisien. Si cette optimisation fiscale est légale sur la forme, le code pénal français punit en revanche les faux témoignages sous serment.
En 2021, l’État a dépensé plus d’un milliard d’euros en prestations de conseil.
Ces dépenses ont plus que doublé depuis 2018, ce qui interroge à la fois notre vision du fonctionnement de l’État et de sa souveraineté eu égard à l’emploi des cabinets privés et à la bonne utilisation des deniers publics.
Pour le sénateur Montaugé « à bas bruit et de façon sensiblement croissante depuis une vingtaine d’années, le recours à ces cabinets privés est devenu une politique publique « non-dite » qui n’a jamais fait l’objet de débat public et encore moins d’évaluation publique de son efficacité. Cela traduit un affaiblissement de fait, à dessein ou pas, de l’État. Je pense pourtant que la qualité et le niveau de compétence de la haute fonction publique n’a rien à envier aux consultants externes dont les prestations relèvent plus du politique que du technique, plus du « quoi ? » que du « comment ? ».»
Après quatre mois d’investigation et 7 300 documents recueillis, la commission d’enquête démontre que des pans entiers des politiques publiques ont été sous-traités à des cabinets privés : crise sanitaire, réforme de l’aide juridictionnelle, radars routiers, évaluation de la stratégie nationale de santé…
Le recours aux consultants est ainsi devenu un réflexe pour un État qui donne parfois l’impression qu’il « ne sait plus faire », malgré le dévouement de ses propres agents.
Bien que discrète, l’influence des cabinets de conseil sur les politiques publiques est avérée. Les consultants proposent des solutions « clés en main » aux décideurs, que les agents publics sont sommés de mettre en œuvre.
Au terme de cet exercice de transparence démocratique, la commission d’enquête formule 19 propositions* pour en finir avec l’opacité des prestations de conseil, mieux encadrer le recours aux consultants, renforcer les règles déontologiques applicables et mieux protéger les données de l’État.
Ce rapport n’est pas une fin en soi mais plutôt un commencement. Sa vocation est d’alimenter le débat public à partir de faits à la fois concrets et documentés.
En complément de ce rapport, la lecture du livre « Les infiltrés » des grands reporters Matthieu CARON et Caroline MICHEL-AGUIRRE apporte des éléments éclairant sur les pratiques en cours au plus haut niveau.
* Les propositions de la commission d’enquête :
En finir avec l’opacité des prestations de conseil
1. Pour plus de transparence, publier la liste des prestations de conseil de l’État et de ses opérateurs :
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- dans un document budgétaire, annexé au projet de loi de finances ;
- et en données ouvertes, pour permettre leur analyse.
Préciser dans cette liste l’objet de la prestation, son montant, le cabinet de conseil sélectionné et ses éventuels sous-traitants.
2. Assurer la traçabilité des prestations des cabinets de conseil en :
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- exigeant que chaque livrable(*) précise le rôle qu’ont joué les cabinets dans sa conception ;
- interdisant aux cabinets de conseil d’utiliser le sceau ou le logo de l’administration.
Cette traçabilité devra demeurer en cas de publication de tout ou partie des livrables des cabinets.
(*) un livrable désigne tout produit fourni pendant la réalisation du projet et nécessaire pour atteindre les objectifs.
3. Présenter les missions de conseil dans le bilan social unique des administrations, pour permettre aux représentants des agents publics d’en débattre.
Mieux encadrer le recours aux consultants
4. Rationaliser le recours aux accords-cadres de conseil, en particulier pour les accords-cadres de la direction interministérielle de la transformation publique (DITP) et de l’Union des Groupements d’Achats Publics (UGAP) et uniformiser les conditions de ces recours.
5. Prévoir un examen systématique de la Direction Interministérielle de la Transformation Publique (DITP), avec avis conforme, pour toutes les prestations de plus de 150 000 euros(contre 500 000 euros dans la circulaire du 19 janvier 2022).
6. Cartographier les compétences au sein des ministères et élaborer, avec l’appui de la direction générale de l’administration et de la fonction publique (DGAFP), un plan de ré-internalisation pour mieux valoriser les compétences internes et moins recourir aux cabinets de conseil.
7. Systématiser les fiches d’évaluation des prestations de conseil et les rendre publiques. Appliquer les pénalités prévues par les marchés publics lorsque le prestataire ne donne pas satisfaction.
8. Les administrations doivent s’assurer contractuellement que les cabinets de conseil auxquels elles recourent respectent l’emploi de termes français tout au long de leurs missions et notamment dans leurs livrables. Le non-respect de ces exigences pourra être considéré comme un manquement au contrat.
Renforcer les règles déontologiques des cabinets de conseil
9. Confier à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) une nouvelle mission de contrôle des cabinets de conseil intervenant dans le secteur public, pour vérifier le respect de leurs obligations déontologiques. Renforcer les moyens de la HATVP pour assurer cette mission.
10. Lorsqu’ils ne respectent pas leurs obligations déontologiques, interdire aux cabinets de conseil de se porter candidats aux marchés publics.
11. Faire signer par les cabinets de conseil, dès le début de leur mission, un code de conduite précisant les règles déontologiques applicables et les moyens de contrôle mis en place par l’administration.
12. Imposer une déclaration d’intérêts aux cabinets de conseil, à leurs sous-traitants et aux consultants, afin que l’administration puisse identifier et prévenir les risques de conflit d’intérêts. En cas de doute, permettre à la HATVP de contrôler ces déclarations d’intérêts et de sanctionner les déclarations mensongères ou incomplètes.
13. Instituer une obligation de déclaration à la HATVP, par les cabinets de conseil, de leurs actions de démarchage auprès des pouvoirs publics. Publier la liste de ces actions tous les ans, en données ouvertes.
14. Interdire aux cabinets de conseil de réaliser des prestations gratuites (pro bono) pour l’État et ses opérateurs.
15. Maintenir la possibilité pour les cabinets de conseil de réaliser des missions de mécénat dans les secteurs « non marchands » couverts par la loi « Aillagon » de 2003 (culture, éducation, social, humanitaire, etc.).
Pour plus de transparence :
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- déclarer ces missions auprès de la HATVP ;
- publier la liste de ces missions tous les ans, en données ouvertes.
16. Prévoir un contrôle déontologique systématique de la HATVP :
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- lorsqu’un responsable public part exercer une activité de consultant (« pantouflage ») ;
- ou lorsqu’un consultant rejoint l’administration (« rétropantouflage »).
17. Lorsqu’un responsable public devient consultant, l’obliger à rendre compte de son activité à la HATVP, à intervalles réguliers (tous les 6 mois) et sur une période de 3 ans.
Mieux protéger les données de l’État
18. À l’issue de la mission, prévoir la destruction systématique des données confiées aux cabinets de conseil. En cas de doute, permettre à l’administration de saisir la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) pour qu’elle puisse diligenter des contrôles.
19. Faire réaliser par l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information (ANSSI) un référentiel d’audit de la sécurité des systèmes d’information attendue des prestataires réalisant une mission de conseil pour l’État et ses opérateurs. Faire figurer dans les pièces nécessaires pour candidater à un appel d’offre public l’attestation de réalisation de cet audit.