Près d’un an après son dépôt, le projet de loi d’orientation agricole (renommé projet de loi pour la souveraineté alimentaire et agricole) a enfin repris son parcours législatif ce mardi 4 février 2025 au Sénat.
Adopté à l’Assemblée nationale au début du printemps 2024, suspendu par la dissolution puis reporté par la censure, ce texte revient enfin au Parlement. L’examen s’étirera jusqu’au 18 février avec un vote solennel prévu quelques jours avant l’ouverture du Salon international de l’agriculture.
Lors de la discussion générale, Franck Montaugé s’est exprimé pour défendre un modèle agricole français rémunérateur et résilient face aux nécessités de la transition écologique.
Texte prononcé par le sénateur Montaugé :
« « Vieux monde qui se meurt », « clair-obscur d’où surgissent les monstres », vous vous êtes inspirée, Madame la Ministre, de la pensée d’Antonio GRAMSCI, communiste italien, penseur marxiste-léniniste, pour introduire votre discours. Excellente référence ! Je vous vois sourire, donc on est d’accord.
Alors oui, nous devons comprendre le moment présent et dire le nouveau monde que nous voulons pour demain. Et je vais essayer de le faire.
En 2014, prenant acte de la nécessité et de l’urgence d’une action publique en faveur du climat et de l’environnement, la France se dotait d’une loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt. Cette loi portait sur les fonts baptismaux l’agroécologie, en lui fixant un objectif de triple performance : économique, sociale et environnementale.
10 ans après, une évaluation, un point de situation au regard de ces objectifs auraient été utiles pour répondre aux difficultés identifiées et prolonger la démarche avec une efficacité accrue. En effet, sauf à considérer qu’il n’y a rien à faire et que les tendances observées doivent se poursuivre, certains sujets conditionnent fortement le devenir de l’agriculture française à l’ère des transitions écologique et énergétique. La diminution très forte du nombre des exploitations et des emplois, les difficultés à trouver du personnel, les pertes de surface utile, le niveau des rémunérations illustrent le caractère « darwinien » des évolutions à l’œuvre.
La sélection « économique » naturelle se poursuit… inéluctablement ! Dans ce contexte, les expressions récentes et diverses de la profession agricole auraient mérité d’être mieux entendues et prise en compte pour répondre aux difficultés.
Et en premier lieu celle relative au revenu. À partir d’une très bonne idée, celle des états généraux de l’alimentation, les lois EGALIM se sont succédé sans apporter de solutions satisfaisantes et pérennes aux agriculteurs les plus en difficulté. Tant que cette question ne sera pas résolue, les mêmes causes produisant les mêmes effets, les agriculteurs manifesteront, à juste titre… et on trouvera de moins en moins de candidats à l’installation ou à la reprise. Rien hélas dans le texte dont nous allons débattre ne nous permettra de leur apporter des solutions sur ce point.
La formation, le conseil et le diagnostic des exploitations, au demeurant nécessaires et même développés à haut niveau, ne répondront pas à la question du revenu pour le plus grand nombre. Dans un contexte de concurrence souvent exacerbée où le marché fait loi, le développement de l’agroécologie nécessite aussi la définition et la mise en œuvre d’outils de régulation des marchés et des prix. Pourtant des outils disponibles pourraient être mis en œuvre comme celui du « Fonds de stabilisation du revenu agricole » que le groupe socialiste avait fait voter ici-même en 2016, Henri Cabanel s’en souviendra.
La PAC (politique agricole commune) actuelle contribue aux revenus mais de façon uniforme et rigide. Sans pouvoir de marché et c’est le cœur du problème, les producteurs subissent d’autant plus la volatilité des prix que tous les mécanismes de régulation qui existaient ont disparu. Le dernier en date était celui des quotas laitiers… avec quasi-disparation du cheptel productif et donc nouvelle étape de réduction de la polyculture-élevage sur certains territoires comme le mien, le Gers.
Dans l’Union Européenne, peu de pays ont mis en place des dispositifs de gestion des risques de marché alors que le règlement européen 1305 de 2013 le permet toujours. Je pense aussi qu’il serait utile de réfléchir à la régulation de certains marchés à partir de corridor de prix, entre prix plancher et prix plafond comme c’est le cas dans d’autres secteurs économiques.
Des évolutions structurelles de la PAC doivent donc être envisagées. Premier budget de l’Union Européenne, la légitimité de la PAC est de plus en plus questionnée par le grand public. Plus fondamentalement la question des modèles agricoles que les États-membres entendent soutenir est posée. Dans l’objectif d’un approfondissement du modèle agroécologique et d’une meilleure prise en compte du travail des agriculteurs, la PAC devrait progressivement passer de « primes surfaciques » à des « paiements pour services environnementaux » dans la progressivité.
L’application de l’article 45 au texte que nous allons discuter cette semaine nous empêche d’aborder ces sujets mais il serait intéressant, Madame la Ministre, que vous nous disiez quelle est votre vision des évolutions souhaitables de la PAC pour soutenir le revenu du plus grand nombre d’agriculteurs dans un contexte de transition écologique qu’il faut approfondir. Je pense tout particulièrement à la qualité biologique et sanitaire des sols et au maintien de la polyculture élevage, absolument vitale pour le devenir de pans entiers de notre territoire national. Il n’est pas trop tôt pour engager ce débat à propos de la prochaine PAC et du plan stratégique national (PSN) de la France qui en résultera.
Nous regrettons aussi que ce projet de loi ne contienne pas de mesures concrètes sur le foncier et qu’ait été abandonné le projet de grande loi foncière dont nous avons besoin pour infléchir les tendances constatées… qui en l’état semblent inéluctables ! Quels sont vos objectifs, Madame, en matière d’emplois agricoles, de nombre d’exploitations, de surface agricole utile (SAU) moyenne ?
Je rencontre beaucoup d’agriculteurs, dans le Gers et ailleurs, qui sont inquiets et n’arrivent plus à se projeter dans un avenir souhaitable pour eux. Ils dissuadent souvent leurs enfants de prendre la suite… Cela en dit beaucoup hélas. Derrière ces attitudes et ces questionnements il y a du désespoir… qui parfois conduit au pire – on le sait – et il y a la question du modèle agricole que l’on veut se donner !
Agriculture d’industrie, faite de sociétés d’investissements et d’exécutants ou agriculture qui laisse sa place à un modèle agroécologique pleinement inséré dans des territoires ruraux socialement et économiquement vivants ? Ou la coexistence de ces deux modèles au profit d’un développement territorial assumé ? Je crois que la question politique de fond est celle-là. Et qu’il faut d’abord répondre à cette question centrale pour ensuite débattre de « la reconnaissance de l’agriculture comme d’intérêt national majeur » que vous introduisez dans ce texte.
Dans le même esprit, la notion de souveraineté alimentaire mérite un débat qui permettra de prendre en compte les composantes sociale, environnementale et économique du concept en même temps que le rapport du global au local et donc la question territoriale dans une perspective humaniste voire universaliste.
En définitive et sans préjuger de ce qu’apportera le débat, nos attentes relatives à l’approfondissement nécessaire de la transition agroécologique ne sont que très peu voire pas du tout prises en compte et traitées dans ce texte. Et pas non plus les attentes, hélas, légitimes d’une grande partie du monde agricole en difficulté. Puisse notre débat éclairer les choix de société que reflètent les modèles agricoles en présence. Le groupe socialiste, écologiste et républicain y contribuera ! Je vous remercie de votre attention. »