Présidée par le sénateur Franck Montaugé, la commission d’enquête sur la souveraineté numérique enchaîne depuis le 16 mai dernier les auditions de spécialistes. Créée à la demande du groupe Les Républicains, cette commission d’enquête dont le rapporteur est le sénateur de la Somme Gérard Longuet, et le président le sénateur du Gers Franck Montaugé, s’est donné pour objectif d’identifier les effets du numérique qui affectent notre souveraineté nationale.
L’exposé des motifs de la résolution portant création de la commission d’enquête en explique les objectifs de manière claire et détaillée:
«La révolution numérique entamée avec le développement d’internet et des technologies de l’information et de la communication ne cesse de s’accélérer, gagnant l’un après l’autre tous les pans de l’activité humaine. Les implications de cette expansion du monde numérique, sa convergence avec les biotechnologies et les nanotechnologies, sont vertigineuses et ouvrent des perspectives de progrès considérables dans un nombre toujours croissant de domaines. Cependant, elles constituent dans le même temps un défi colossal à l’exercice de notre souveraineté.
L’État voit en effet se bouleverser les conditions dans lesquelles il exerce sur son territoire ses fonctions régaliennes. Le développement exponentiel du cyberespace fait ainsi peser des menaces d’un genre nouveau sur la sécurité des citoyens, des entreprises ou des infrastructures stratégiques, mais aussi sur l’intégrité démocratique des processus électoraux. La capacité à mener une cyberguerre est aujourd’hui devenue une composante incontournable de toute doctrine de défense crédible. La numérisation de l’économie a par ailleurs permis l’émergence de modèles d’affaires qui concentrent et transfèrent ailleurs la valeur créée, tout en échappant largement aux cadres fiscaux conçus pour une économie physique et territorialisée. Même la création monétaire est aujourd’hui concernée avec le développement des crypto-monnaies.
Plus largement, c’est notre capacité à établir des règles consenties collectivement dans le cadre de processus démocratiques qui est aujourd’hui mise à l’épreuve par un écosystème numérique, contrôlé et façonné par une poignée d’acteurs, toujours plus puissants, qui écrasent les marchés et nous placent en situation de dépendance technologique, édictent leurs propres normes, poursuivent leurs propres objectifs et servent leurs propres intérêts, parfois éloignés des nôtres.
Les paradigmes qui fondent l’organisation économique et sociale de notre société sont ainsi battus en brèche dans de nombreux domaines, qu’il s’agisse par exemple du droit du travail, du droit de la propriété intellectuelle ou encore du droit des contrats.
Les droits, mais aussi l’autonomie, voire le libre-arbitre des individus, qu’ils soient consommateurs ou citoyens, sont également affectés par le fonctionnement du système économique organisé autour de la collecte et de l’exploitation des données, par les programmes de surveillance du réseau ou encore par l’essor de l’intelligence artificielle, dont les algorithmes orientent autant qu’ils les prédisent les choix et décisions personnels. Ils pourraient même à terme être amenés à les remplacer, par exemple dans le cas des transports autonomes.
Dans ce foisonnement d’innovations technologiques, individus comme États cherchent légitimement à exercer sur les transformations qui les impactent une maîtrise et un pouvoir de décision qui leur échappe encore trop largement. Le législateur peine toutefois à s’adapter à la nouvelle situation et sa principale difficulté consiste à déterminer ce qu’il faut réglementer, s’il est nécessaire de le faire, à quel moment et comment.
Il apparaît donc essentiel de mener une réflexion approfondie pour identifier, d’une part, les champs fondamentaux de notre souveraineté numérique, qu’elle soit individuelle ou collective, et pour esquisser, d’autre part, les moyens de la reconquérir, qu’ils relèvent de la règlementation oude la mise en œuvre de politiques publiques.»
«Nous avons une connaissance et une expérience du concept de souveraineté nationale sur un territoire défini, avec un peuple, une loi qui s’applique à tout le monde, etc. Le monde numérique a fait exploser tout ça, tous ces cadres sont remis en question, il faut donc qu’on se repose la question de la définition de la souveraineté nationale à l’ère du numérique», explique Franck Montaugé. Comment l’autorité de l’Etat s’exerce-t-elle dans le monde numérique? Comment se protège-t-on de la cyber-criminalité? Comment met-on nos processus démocratiques à l’abri des tentatives de destabilisation ou de manipulation via les réseaux numériques? Quelle est l’efficacité du règlement général de protection des données (RGPD) mis en place il y a un an par la commission européenne? Les questions sont multiples et doivent être envisagées sous le prisme national, mais également sous celui de l’Europe. »
«On se rend compte que la collaboration, la coopération entre organismes, Etats membres et organisations européennes sont essentielles pour être efficaces, souligne Franck Montaugé lors d’un déplacement de la commission d’enquête à Bruxelles, au siège de la commission européenne le 18 juin dernier. Les Etats à leur échelle peuvent faire des choses, mais ne peuvent pas tout faire, dit-il. L’objectif de notre commission d’enquête est de faire des préconisations qui aillent dans le sens d’une amélioration au profit de l’intérêt général, sans oublier cet objectif qui est au coeur de notre travail d’une plus grande souveraineté de la Nation sur ces espaces numériques qui impactent aujourd’hui tous les domaines de notre existence.»
Depuis le début de ses travaux, la commission a déjà entendu Pierre Bellanger, président-directeur général de Skyrock et auteur de La Souveraineté numérique, Mme Claire Landais, secrétaire générale du Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN), M. Nicolas Mazzucchi, chargé de recherche, Fondation pour la recherche stratégique, M. Julien Nocetti, chercheur à l’Institut français des relations internationales (IFRI) et M. Christian Harbulot, directeur de l’École de guerre économique, spécialiste d’intelligence économique, sur la souveraineté numérique dans les relations internationales, M. Benoît Thieulin, ancien président du CNNum, rapporteur de l’avis “Pour une politique de souveraineté européenne du numérique”, adopté le 13 mars au Conseil économique, social et environnemental (CESE), M. Bernard Benhamou, Secrétaire Général de l’institut de la souveraineté numérique. Les vidéos et compte-rendus de ces auditions sont consultables sur le site du Sénat (les liens en bas de l’article).
La commission d’enquête rendra ses conclusions début octobre 2019
Tous les compte-rendus d’auditions ainsi que les vidéos en cliquant ici
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Téléchargez ici la résolution créant la commission d’enquête