Le sénateur Franck Montaugé a présenté mercredi au Sénat une proposition de résolution (1) plaidant pour l’instauration auprès des agriculteurs d’une “prestation pour services environnementaux” (PSE), une rémunération des “externalités positives” de l’activité agricole. Ce concept qu’il avait exposé en juillet dernier dans une tribune (lire ici) a pour objectif de valoriser le travail des agriculteurs. Après la censure par le Conseil constitutionnel d’un certain nombre d’articles du projet de loi Egalim, dont un concernant la mise en place de cette PSE (lire ici), le sénateur du Gers remet donc aujourd’hui sur la table cette proposition qui présente un double intérêt: améliorer le revenu des agriculteurs et encourager la mise en oeuvre de bonnes pratiques environnementales.
« Au moment où je m’exprime devant vous, des tracteurs ont pris place devant la préfecture du Gers, à Auch, déclare en introduction Franck Montaugé. Les agriculteurs qui se manifestent ainsi ne portent pas de gilets jaunes mais ils connaissent eux aussi des conditions de vie difficiles qui justifient leur mobilisation. Pour connaître la dignité qui est la leur, je m’avancerai à dire qu’ils en ont assez des apitoiements, d’où qu’ils viennent. Je m’en garderai donc en vous disant qu’ils attendent de nous que par nos propositions nous les aidions à vivre décemment de leur travail. Nous voulons des prix pas des primes nous disent-ils ! Le système actuel le permet-il ? On sait que non. Le permettra-t-il demain, pour tous ? On peut en douter mais on le souhaite bien entendu. A partir de là, notre devoir à leur égard est de proposer en nous projetant, à l’écoute des attentes de la société et des grands enjeux que nous devons relever collectivement. »
« Notre agriculture est incontestablement à un tournant de son histoire, poursuit le sénateur du Gers. Changements climatiques, raréfaction de nos ressources naturelles, épuisement de notre biodiversité, concurrence économique exacerbée, insuffisance et instabilité des revenus … autant de défis qui rendent aujourd’hui le métier d’agriculteur de plus en plus difficile et incertain. A ces contraintes climatiques, économiques et conjoncturelles, s’ajoutent des attentes sociétales de plus en plus fortes en termes de préservation de notre environnement et de qualité des produits et des aliments que nous consommons. Ces attentes se transforment malheureusement souvent en critiques et elles participent d’une forme de détérioration de l’image du métier d’agriculteur depuis quelques années. »
« L’agri-bashing ça suffit ! et nous vous suivons là-dessus Monsieur le Ministre. Il faut expliquer aux consommateurs, aux citoyens, et les agriculteurs ont pris conscience de cela, ce que l’on fait, comment on le fait, avec quelles contraintes et dire aussi ce que l’agriculture et les agriculteurs apportent à la société, au-delà des apparences immédiates qui limitent leur rôle au seul acte de production. Pour nous et c’est un point essentiel, il ne s’agit pas de stigmatiser les agriculteurs mais au contraire de prendre en compte et de reconnaître à terme l’ensemble des effets bénéfiques de leur action sur la société. Face à ces nouveaux et nombreux défis, aux mutations sociétales et environnementales qui sont engagées, nous devons apporter de nouvelles réponses. »
« Les orientations que la commission européenne a posé pour les principes de la future PAC nous engagent aussi à discuter, à proposer des pistes au Gouvernement. A ce titre, les paiements pour services environnementaux (PSE) apparaissent comme un outil pouvant allier nécessité économique et prise en compte des enjeux climatiques et environnementaux. Mais au préalable, il est important de se mettre d’accord sur les mots. Nous retenons comme définition des PSE, les effets (externalités) positifs de l’agriculture sur les écosystèmes. Effets qui sont engendrés par des modes de production ou des pratiques agricoles adaptés. En d’autres termes, il s’agit d’encourager, en les rémunérant dans la durée, les pratiques qui permettent d’améliorer la santé et l’efficacité agronomique et environnementale des écosystèmes. Il ne s’agit donc plus seulement de compenser des surcoûts ou des manques à gagner – comme les dispositifs actuels de type MAEC le permettent – mais bien de rémunérer de façon permanente des pratiques apportant une plus-value environnementale et/ou climatique. »
« Des exemples existent déjà dans le domaine privé. L’un des plus emblématiques est celui de la société Perrier-Vittel qui a développé, dès les années 1990, une politique de protection de ses sources en contractualisant avec les exploitants agricoles pour qu’ils changent leurs pratiques et préservent les nappes phréatiques. Dans mon département, une société qui produit du pop-corn bio a contractualisé avec ses producteurs de maïs une part du prix d’achat en conséquence des réductions d’émission de CO2 que permettent des techniques de travail simplifié du sol et de couverts végétaux qui améliorent la séquestration du carbone dans le sol. »
« Par ces PSE, il s’agirait également de valoriser le rôle indispensable joué par les agriculteurs en matière d’aménagement du territoire et d’entretien de nos paysages, ajoute Franck Montaugé. Dans nos massifs montagneux, le pastoralisme rend des services d’intérêt général aux territoires, à la société, en évitant les incendies, les avalanches tout en étant aussi souvent des lieux de tourisme. Entendons-nous bien, le pastoralisme doit se rémunérer sur son activité économique mais les PSE doivent permettre de reconnaître ce qu’il apporte à l’intérêt général. Souvent, les incendies en Corse ou la difficulté de leur maîtrise résultent de l’abandon de zones autrefois exploitées. C’est là une démonstration par l’exemple et a contrario de la justesse du concept de PSE. Le même sujet se pose dans les mêmes termes pour les territoires ruraux et hyper ruraux en déprise agricole ou menacés de le devenir. La sortie de certains éleveurs des zones défavorisés renvoie à cette problématique d’intérêt général. Et on sait que le bilan carbone de la disparition des prairies ne sera pas positif. »
« L’agriculture est profitable pour l’ensemble de la société et les citoyens en bénéficient au quotidien, bien souvent sans s’en rendre compte. Pour éviter les incompréhensions, je veux rappeler ici quelques principes auxquels nous sommes attachés à propos des PSE. D’abord, on doit toujours partir des marchés et de l’attente du consommateur. Les PSE doivent conforter le développement des territoires au plan économique, social et bien entendu environnemental. Les PSE doivent être pensées avec les professionnels et toutes les parties prenantes dans le cadre de démarches de projets territoriaux dont les périmètres peuvent aller de l’exploitation de base aux grands territoires. Il faut conditionner les PSE à une activité agricole productive. Pas de PSE s’il n’y a pas d’agriculture. Pas de mise sous cloche non plus des territoires agraires. »
« Les PSE ne doivent pas faire l’objet d’un cadre réglementaire rigide. Il ne s’agit pas de rajouter des normes aux normes. Adaptabilité et subsidiarité doivent être au cœur du dispositif. La question du paiement des PSE par le consommateur, dans les prix, ou des PSE par le contribuable, dans les aides, doit être discutée. Les PSE peuvent aussi être valorisées entre acteurs privés. Les paiements ne doivent pas se substituer aux aides PAC que l’on connait et dont on sait qu’elles vont baisser. Parce qu’elles répondent à des objectifs radicalement nouveaux, les PSE doivent venir en plus. Les 150 millions du plan biodiversité présenté en juillet dernier et qui étaient prévus au budget 2018 pourraient utilement les financer sans toucher au premier pilier. »
« L’État par l’intermédiaire de l’INRA a travaillé la question des PSE au plan scientifique, économique et juridique. Le MAA nous le dira certainement mais j’ai noté qu’en 2019 des guides pratiques seraient mis à disposition de l’État dont les agences de l’eau, des collectivités et des privés (entreprises, associations, fondations, etc.). Une phase de mise au point et de test in situ pourrait intéresser de nombreux territoires. Le Gers pourrait avec d’autres y participer. La reconnaissance de la valeur environnementale produite par les pratiques culturales n’est pas à ce jour possible dans le cadre de l’OMC mais nous pensons que les PSE devraient être traitées à l’aune des engagements de la « Conférence des parties » et donc déboucher sur des classements OMC les permettant (boite verte). Pour nous, les MAEC et les PSE sont deux outils complémentaires. La création de PSE ne saurait impliquer une disparition ou même une diminution à court terme des budgets consacrés aux MAEC. »
« Les récentes propositions législatives de la Commission européenne pour la future PAC semblent ouvrir la voie à la possibilité de création de ces PSE au sein du premier pilier, possiblement au titre du dispositif appelé par la commission « écoschème ».
« Nous sommes pour le moins réservés sur cette possibilité d’autant plus que les aides directes vont diminuer. Tant que la question des prix producteurs ne sera pas réglée et donc que les paiements directs seront indispensables, les PSE ne pourront s’y substituer et nous pensons qu’ils devront être financés sur des fonds environnementaux spécifiques. En tout état de cause, n’attendons pas l’Europe pour entamer des actions concrètes, fussent-elles expérimentales ! En demandant au Gouvernement d’engager concrètement cette démarche, de mettre en débat le dispositif nous ne prenons aucun risque. Améliorer un peu le revenu des agriculteurs tout en répondant aux enjeux sociaux et sociétaux, territoriaux et environnementaux qui se posent à nous collectivement, c’est à cela que peuvent contribuer les PSE. Pour terminer, je veux attirer votre attention sur les résolutions que nous vous proposons. »
« Nous invitons le Gouvernement à avoir une politique volontariste en matière de création de PSE, conclut Franck Montaugé. Nous l’invitons à renforcer ses engagements dans le cadre du nouveau plan Biodiversité, en augmentant notamment l’enveloppe allouée à la mise en place de PSE. Nous appelons les collectivités, les territoires et les syndicats agricoles à avoir un rôle moteur dans la reconnaissance, l’accompagnement et la création de PSE. Nous invitons le Gouvernement à plaider au niveau européen en faveur de la création de PSE dans le cadre de la future PAC. Nous souhaitons que la création des PSE n’implique pas une diminution des crédits consacrés aux MAEC, les deux outils étant complémentaires, Nous souhaitons que ces PSE à l’échelle européenne comportent une part importante de subsidiarité afin de laisser aux Etats membres la possibilité de les adapter à leurs territoires. »
Le ministre de l’Agriculture et de l’Alimentation s’est dit favorable à la mise en oeuvre de PSE. Il a confirmé que le travail de l’INRA se poursuivait et que des guides méthodologiques seraient mis à dispositions des acteurs concernés en 2019. Dans son intervention il a indiqué vouloir privilégier un financement des PSE sur les fonds du plan biodiversité afin de ne pas toucher les aides du premier pilier de la PAC (lire ici le compte-rendu des débats). Au terme de l’exposé des positions et des arguments des différents groupes, le scrutin public final n’a pas permis d’adopter la proposition de résolution (131 voix pour, et 198 contre).
« Je le regrette tout en constatant que nombre d’arguments développés par les opposants n’avaient aucun rapport avec les propositions formulées dans le texte, déclare Franck Montaugé. Dans le contexte actuel, refuser du revenu tout en permettant une meilleure reconnaissance du travail des agriculteurs par la société est pour le moins surprenant! Toutefois, ce vote n’ayant pas de caractère rédhibitoire puisqu’il ne s’agit pas d’un texte de loi, je pense qu’il faudra poursuivre les échanges dans et avec les organisations professionnelles. Convaincu personnellement des intérêts multiples de la démarche, je reste à leur disposition pour y contribuer. »
1- Proposition de résolution : texte de propositions (non contraignant en vertu du principe constitutionnel de séparation des pouvoirs) faites au Gouvernement par l’assemblée, discuté et voté en séance publique