Dans le cadre de sa mission de contrôle de l’action du Gouvernement, la commission des affaires économiques du Sénat a auditionné, en visioconférence, ce mardi 14 avril pendant deux heures, le secrétaire d’État auprès du ministre de l’Economie et des finances et du ministre de l’Action et des comptes publics, chargé du numérique. Franck Montaugé qui a présidé la commission d’enquête sur la souveraineté numérique (lire ici), a interrogé le ministre sur la question de la souveraineté numérique de la France dans le contexte épidémique.
“De façon générale, quels enseignements politiques nouveaux tirez-vous en matière de souveraineté numérique de la Nation, à partir de l’observation des comportements que certains acteurs comme les Gafam appréhendent comme une opportunité de développement et d’hégémonie supplémentaire ?”, interroge le sénateur Montaugé qui illustre sa question à partir de quelques pratiques précises que nous avons observées.
“Apple et Google sont, on le sait, en situation de duopôle sur les marchés des smartphones, des magasins d’application et des systèmes d’exploitation. Ils ont annoncé que, dans un premier temps et par une API permettant l’interopérabilité entre les appareils Android et iOS, ils allaient collaborer pour faciliter le fonctionnement des applications gouvernementales de tracking en Bluetooth. Et, dans un second temps, ils vont très probablement proposer leurs propres applications.
- Ne craignez-vous pas que ces géants se substituent, une fois de plus, aux États souverains ?
- Pouvez-vous nous assurer que la solution que vous adopterez sera totalement souveraine et donc hermétique au moindre recueil de données par toute entreprise étrangère ?
Sur les modalités de mise en œuvre de StopCovid :
- Pouvez-vous nous assurer que la solution que vous adopterez, si elle devait être mise en œuvre, s’accompagnera de campagnes de tests massives, sans quoi cette application ne serait d’aucune utilité?
- Pouvez-vous vous engager à conduire, avant toute généralisation, une expérimentation ?
“Et pour terminer, conclut Franck Montaugé, on constate que depuis le début du confinement, les entreprises dont l’activité est essentiellement numérique tirent très bien leur épingle du jeu. On entend des appels à la solidarité envers certains secteurs, mais pas celui-ci. Monsieur le ministre, alors que la taxe Gafam a été suspendue cette année, n’est-ce pas le moment d’appeler ces derniers à faire preuve de solidarité, par exemple en abondant généreusement le fonds de solidarité pour les entreprises ? Tous les Français continuent de surfer sur Google, sur Facebook. Le cours de bourse d’Amazon a presque retrouvé son plus haut niveau historique, atteint fin février. Ne serait-il pas bienvenu de leur demander un geste de solidarité ?”
Dans les réponses qu’il a apportées, le secrétaire d’État au numérique Cédric O s’est montré “optimiste mais pas totalement certain” de l’utilité du projet d’application pour smartphones StopCovid dans la lutte contre le coronavirus. L’application StopCovid doit permettre, si elle est déployée, à l’utilisateur d’être prévenu s’il a croisé une personne contaminée par le virus. Son principe consiste à stocker sur son smartphone pendant une durée définie l’identifiant de tous les smartphones détectés à proximité grâce à la technologie sans fil Bluetooth.
Appelé à clarifier ce projet d’application de tracking StopCovid, il a confirmé qu’il s’agirait d’un outil français, conforme à nos valeurs et à nos lois, notamment conforme aux libertés individuelles, sur la base du volontariat, anonymisé, ne conservant pas les données au‑-delà de quelques semaines, en open source et temporaire. Cet outil, dont l’aboutissement n’est pas encore certain, s’inscrira dans une stratégie globale de déconfinement et sa visée sera exclusivement sanitaire.
“Le problème, a expliqué Cédric O, est que la technologie Bluetooth ne permet pas en soi de mesurer exactement la distance entre deux smartphones et donc de savoir s’il y a un réel risque de contamination ou non entre les porteurs des appareils. C’est l’objet d’un travail très intense que nous menons avec les Allemands, qui ont un peu d’avance sur nous mais qui ont partagé leur expertise avec nous. Est-ce que nous allons réussir à avoir quelque chose qui soit suffisamment précis pour que cela serve son objectif épidémiologique, je suis optimiste mais pas totalement certain”, a-t-il dit.
Concernant Google et Apple qui travaillent ensemble pour faciliter la mise en œuvre de ce genre d’applications, “ils n’ont pas expliqué exactement ce qu’ils prévoyaient”, a indiqué Cédric O. “Toute aide peut être bienvenue (…) mais elle doit se faire aux conditions des gouvernements” des pays concernés, a-t-il prévenu. “Cette épidémie ne saurait affaiblir notre démocratie ni mordre sur quelque liberté”, a-t-il ajouté alors que le traçage est critiqué par des associations de protection de la vie privée et jusque dans les rangs de la majorité. Il a aussi reçu favorablement l’idée d’une participation des Gafam à la solidarité nationale.