Un rapport que l’Inspection générale des finances vient de remettre au Gouvernement sur « la revitalisation commerciale des centres-villes » (lire ici), propose aux élus et décideurs locaux toute une série de mesures destinées à enrayer les phénomènes de désertification commerciale dans les centres-villes. « Avec près d’un rideau sur dix baissé, la vacance commerciale s’aggrave et touche fortement les centres des villes moyennes en France », note le rapport dans son introduction.
Très documenté, le rapport de 471 pages souligne que « si le commerce en centre-ville est avant-tout dépendant du contexte socio-économique de son territoire, il est aussi très sensible au bon équilibre des concurrences au sein de l’appareil commercial ainsi qu’à la qualité de son environnement ». Ainsi, les travaux menés par la mission confirment qu’il ne peut y avoir de vitalité commerciale en centre-ville sans une démographie dynamique et une situation socioéconomique favorable, sans de bonnes conditions économiques d’exploitation pour les professionnels et un environnement urbain adapté, sans un équilibre préservé entre périphérie et centralité, sans une adaptation rapide des acteurs du commerce à l’évolution des modes de consommation et des attentes de leurs clients.
L’inauguration, dernièrement, par le sénateur-maire d’Auch Franck Montaugé, d’une nouvelle tranche de l’opération « Cœur de Ville », un vaste programme de rénovation du centre historique d’Auch, fut l’occasion d’observer les effets d’actions conjuguées pour redynamiser un tissu commercial progressivement gagné par la vacance. Cette requalification des espaces publics en centre-ville qui a débuté avec la réfection de la place de la Libération et s’est poursuivie avec la rénovation de l’escalier monumental, a permis cette fois-ci de donner un sérieux coup de jeune à la plus ancienne rue commerçante de la ville et ses abords.
Mais les travaux ne font pas tout. « Auch est l’une des premières villes de France à avoir recruté, dès 2002, un manager de centre ville, ce que préconise aujourd’hui encore le rapport de l’Inspection générale des finances », explique Franck Montaugé. « C’est ce qui nous permet aujourd’hui d’avoir une très bonne connaissance de notre tissu commercial, de ses difficultés, et d’agir en conséquence. »
L’opération de rénovation urbaine de la rue Dessoles peut être considérée comme un modèle du genre en ce qu’elle a pris en compte un large éventail de paramètres qui vont de la préservation et de la mise en valeur du patrimoine à la lutte contre le réchauffement climatique grâce à l’intégration d’un plan de végétalisation, mais aussi parce que l’aspect travaux a été soigneusement coordonné avec une action du manager de centre ville.
Alors que 31% des locaux commerciaux étaient vacants avant les travaux, ils ne sont plus que 18% à la fin du chantier. Les prospections qui étaient infructueuses avant l’annonce de la réfection de la rue, ont abouti dès que le chantier a démarré. La mobilisation des propriétaires et des agents immobiliers qui ont joué le jeu en acceptant de garder des loyers maîtrisés a également joué un rôle important. Bilan de l’opération: sept ouvertures de magasins supplémentaires et un doublement de surface commerciale.
« La méthode fait ici la démonstration de son efficacité », se réjouit le sénateur-maire Franck Montaugé. « Vitale pour le développement de l’activité touristique, la rénovation et la mise en valeur du patrimoine urbain historique doit aussi être l’occasion de repeupler nos centres-villes et d’y ramener de l’activité économique », dit-il. Les propositions formulées par la mission de l’Inspection générale des finances constituent un outil et une précieuse feuille de route pour les élus locaux qui veulent agir pour redynamiser leur tissu commercial de centre-ville.
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Synthèse des propositions
1. ENCOURAGER LA DEFINITION DE STRATEGIES LOCALES POUR LE DEVELOPPEMENT DU COMMERCE Il est important que toute ville ait une vision claire de son centre-ville et, le cas échéant, de ses centralités secondaires. Définir le ou les périmètres de centralité correspondants permet à la collectivité d’établir ensuite une stratégie pour, selon le contexte, préserver, conforter ou requalifier le centre-ville dans le cadre d’un projet global mobilisant tous les leviers techniques et financiers utiles. La recherche d’une organisation équilibrée de l’offre commerciale entre le centre-ville et les autres polarités est un enjeu économique, social et environnemental, c’est-à-dire de développement durable qui implique nécessairement une approche à l’échelle intercommunale.
- Proposition n°1 : Inviter les villes à définir une stratégie communale et intercommunale d’aménagement commercial, et le cas échéant, à développer un projet de requalification de leur centre (compétence de politique locale du commerce).
- Proposition n°2 : Traduire la stratégie locale d’aménagement commercial dans la mise en place généralisée d’un plan local d’urbanisme intercommunal (PLUi) et surseoir à toute décision de nouvelle implantation commerciale de plus de 1 000 m² dans les agglomérations qui n’en sont pas encore pourvues avec la possibilité de prévoir un délai de mise en œuvre de un ou deux ans.
- Proposition n°3 : Inciter les villes moyennes connaissant un taux de vacance commerciale structurellement élevé1, à établir un périmètre d’action sur le centre-ville qui permette de mettre en œuvre, de façon coordonnée les différents outils disponibles (périmètre de sauvegarde, autres outils réglementaires et fonciers pour le centre-ville).
2. MIEUX ORGANISER L’OFFRE COMMERCIALE ET FAVORISER LES EQUILIBRES COMMERCIAUX Développer un dispositif de planification territoriale articulé entre le niveau régional, le niveau du bassin de vie et le niveau intercommunal est le meilleur moyen d’organiser les équilibres recherchés en matière de tissu commercial et de prendre en compte les principes du développement durable. Cela suppose que la dimension de l’aménagement commercial soit prise en compte dans le schéma régional d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires (SRADDET) et confortée dans le schéma de cohérence territoriale (SCoT). Une phase d‘expérimentation dans une ou deux régions peut s’avérer utile avant que les documents de planification puissent atteindre partout un bon niveau de qualité.
- Proposition n°4 : Assurer la prise en compte de l’aménagement commercial dans les stratégies de développement à toutes les échelles de planification territoriale (SRADDET, SCoT, PLUi), en intégrant notamment les principes du développement durable. La Région, compétente en matière de développement économique, a vocation à participer à la stratégie de reconquête commerciale des centres-villes. Le niveau régional, en dialogue avec celui des aires urbaines (SCoT) et des intercommunalités (PLUi), peut devenir la bonne échelle pour définir les grandes orientations et organiser la régulation en matière d’aménagement commercial. 1 Taux supérieur à 10% ou 15%.
- Proposition n°5 : Régionaliser les commissions d’aménagement commercial en transférant les compétences des commissions départementales d’aménagement commercial (CDAC) actuelles à des commissions régionales d’aménagement commercial (CRAC). Pour apprécier les critères fixés par la loi, les commissions doivent pouvoir s’appuyer sur une analyse objective des enjeux et des impacts potentiels des nouveaux projets d’implantation commerciale. L’analyse doit être suffisamment approfondie en fonction des enjeux du territoire et de l’ampleur de l’opération présentée et permettre la comparaison des variantes possibles.
- Proposition n°6 : Demander aux porteurs de projets d’implantation commerciale de fournir aux commissions d’aménagement commercial une étude d’impact globale préalable réalisée par un organisme d’étude agréé par l’État (logique de tiers de confiance pour objectiver les critères définis par l’article 49 de la loi ACTPE (loi relative à l’artisanat, au commerce et aux très petites entreprises), introduire une obligation de présenter des scenarii alternatifs, s’inspirer du test séquentiel britannique). Parmi les critères, la sauvegarde des centres-villes est une priorité qui pourrait être reconnue à l’échelle européenne, en cohérence avec les orientations exprimées et des politiques menées par l’Union, ainsi qu’avec la jurisprudence européenne.
- Proposition n°7 : Engager une négociation à l’échelle européenne, avec l’appui de nos partenaires, pour définir la protection des centres-villes comme une raison impérieuse d’intérêt général susceptible de fonder des restrictions à la liberté d’établissement dans la législation des États membres. Sans attendre le résultat de cette initiative, une directive pourrait être adressée aux préfets leur demandant de prendre en compte la sauvegarde des centres-villes comme un enjeu majeur dans l’instruction des dossiers soumis aux commissions d’aménagement commercial.
3. COORDONNER LES ACTEURS Sur le modèle des centres commerciaux, le regroupement des acteurs du centre-ville au sein d’organisations permanentes apparait utile, la nature juridique de ces entités pouvant varier. La mise en place de managers de centres-villes est une pratique éprouvée dans de nombreuses collectivités locales. Son développement est à encourager par des financements adaptés et par la mise en place d’un référentiel métier. Le rôle du manager doit aussi être conforté et renforcé par un positionnement bien défini au niveau communal ou intercommunal et une définition large de ses missions.
- Proposition n°8 : Promouvoir la mise en place et le rôle du manager de centre-ville (financement et référentiel métier). La sauvegarde d’un centre-ville ne peut s’imaginer sans l’existence d’une organisation, quelle qu’en soit la forme, regroupant l’ensemble les acteurs de façon efficace et pérenne. Pour mieux mobiliser collectivement les acteurs du commerce la création de structures inspirées des business improvement districts (BID) ou des sociétés de développement commercial (SDC) pourrait être expérimentée sur le mode d’un appel à projet.
- Proposition n°9 : Inciter à la mise en place dans tous les centres-villes d’une organisation permanente des acteurs publics-privés du commerce (forme juridique variée : association, office, GIE, société coopérative…).
Grâce à une mobilisation des services statistiques ministériels, des instituts privés ou universitaires et des réseaux consulaires, l’organisation d’un dispositif d’observation permettrait notamment : à partir d’une définition partagée du périmètre des centres-villes, de définir et mesurer les taux de vacance et autres indicateurs de fragilité du tissu commercial en centre-ville afin de pouvoir ensuite orienter l’action publique, de se donner les moyens d’un suivi de l’agenda par l’observation de l’évolution du secteur du commerce selon des indicateurs proposés par la mission. - Proposition n°10 : Installer un observatoire de la vacance commerciale auprès de la commission de concertation du commerce (3C), et orienter dans un premier temps son champ d’analyse sur l’évolution de l’activité commerciale en centre-ville (avec notamment le concours de la DGE, de la DGFiP, de l’INSEE, des réseaux consulaires et des partenaires privés).
4. ACCOMPAGNER LES COMMERÇANTS DANS LEUR ADAPTATION AU COMMERCE DE DEMAIN La plus grande fragilité de certains acteurs et l’importance de préserver une diversité du tissu commercial en France justifient que ces acteurs entrent dans une démarche partenariale accompagnée. Le développement de coopérations public-privé constitue une voie à privilégier. L’équipement en matériels et en logiciels informatiques, ou le développement de plateformes numériques pour le commerce multicanal sont des moyens nécessaires à l’adaptation des acteurs, notamment de commerçants indépendants, à la constitution de centres-villes attractifs. Ces enjeux pourraient être pris en compte par un dispositif d’incitation à l’innovation et à la modernisation des commerces de centre-ville dans le cadre du programme d’investissement d’avenir porté par le commissariat général à l’investissement (CGI).
- Proposition n°11 : Lancer une campagne nationale pour accompagner la transition numérique des commerces indépendants (formation, équipement et développement de plateformes numériques pour le commerce multicanal, hackathon2 du commerce de proximité – financement par le programme d’investissements d’avenir (PIA) à envisager). Il convient d’encourager la coopération des acteurs, par exemple par le mécénat d’entreprise des grandes enseignes en direction des organisations de commerçants ou bien par la mobilisation de programmes partagés de fidélisation dans une logique « gagnant-gagnant ».
- Proposition n°12 : Renforcer les partenariats entre les grandes enseignes et les organisations de commerçants (communication pour inciter aux partenariats, promouvoir le mécénat d’entreprise, développer des actions de marketing et de fidélisation partagées…). Le Fonds d’intervention pour les services, l’artisanat et le commerce (FISAC) reste un outil financier apprécié. Il sera d’autant plus efficace que ses conditions d’emploi seront bien finalisées. Il convient d’adapter en ce sens le prochain appel à projets.
- Proposition n°13 : Associer l’accès au FISAC à une démarche stratégique de développement commercial au niveau local et cibler son action sur l’adaptation de l’offre commerciale et le regroupement des acteurs. 2 Désigne le principe, le moment et le lieu d’un événement où des développeurs se réunissent pour faire de la programmation informatique collaborative (processus créatif utilisé dans le domaine de l’innovation numérique)
Rapport Il serait justifié d’étendre aux centres-villes en difficulté (par exemple ceux dans lesquels le taux de vacance commerciale dépasse 10% ou 15%) des dispositions réservées aux quartiers prioritaires relevant de la politique de la ville, comme la possibilité d’accès à l’établissement public national d’aménagement et de restructuration des espaces commerciaux et artisanaux (EPARECA). Cette mesure incitative doit s’inscrire dans un projet global pour atteindre sa pleine efficacité. - Proposition n°14 : Etendre aux centres-villes connaissant une vacance commerciale structurelle certaines dispositions spécifiques des quartiers prioritaires relevant de la politique de la ville (QPV) (ex. possibilité d’accès à l’EPARECA – toutefois conditionné à la mise en place d’un système de mesure de la vacance commerciale).
5. MOBILISER ET GERER LE FONCIER COMMERCIAL La définition de projets de requalification des centres-villes en difficulté, intégrant le plus souvent une restructuration du foncier commercial, implique que les villes concernées puissent faire appel à des experts et organismes de conseil spécialisés. La mise en œuvre de ces projets suppose de s’appuyer sur des opérateurs urbains capables d’une forte implication locale, comme principalement les sociétés d’économie mixte (SEM) et les sociétés publiques locales (SPL) ainsi que certains établissements publics d’aménagement (EPA) et opérateurs privés. Un réseau d’envergure nationale est à développer en s’appuyant sur les compétences et expériences existantes (SEMAEST3, EPARECA…).
- Proposition n°15 : Mettre à la disposition des villes confrontées à la vacance commerciale des moyens d’ingénierie et d’action grâce au déploiement d’un réseau d’experts et d’opérateurs urbains spécialisés (SEM, EPA ou opérateurs privés…). La gestion dans la durée du foncier commercial peut s’avérer plus efficace si elle est assurée pour certains secteurs stratégiques d’un centre-ville par des foncières mises en place à l’initiative des pouvoirs publics.
- Proposition n°16 : Encourager la création de foncières commerciales publiques-privées adossées aux entreprises publiques locales impliquées ainsi qu’à la Caisse des dépôts et consignations.
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