Dans une tribune cosignée par Franck Montaugé, un collectif de sénateurs du groupe Socialiste Ecologiste et Républicain propose d’adapter le droit français pour mieux sécuriser les travailleurs des plateformes du numérique.
L’annonce récente du recrutement par « Just Eat » de 4.500 livreurs de repas en CDI fait écho à cette initiative législative. En effet, la plupart des plateformes de livraison privilégient le recours aux indépendants et la démarche de « Just Eat« , à évaluer dans la durée, démontre que le salariat est possible dans ce secteur peu protecteur pour les prestataires au premier rang desquels les livreurs.
Installée par le gouvernement après le recours constitutionnel des parlementaires socialistes contre l’article 40 de la Loi d’orientation des mobilités (LOM), la mission Frouin devait formuler des propositions sur les modalités de représentation puis de protection juridique, économique et sociale des travailleurs des plateformes numériques.
Si officiellement, les chartes facultatives devaient régir le dialogue social entre plateformes et travailleurs, leur véritable but était de produire de la jurisprudence empêchant, de fait, les requalifications lorsque des procédures sont intentées. Plusieurs décisions de justice ont pourtant clairement établi le lien de subordination entre certaines plateformes et les « indépendants fictifs » qu’elles emploient.
« Nous avons toujours refusé ce Cheval de Troie contre le droit du travail, et n’avons eu de cesse de formuler des propositions alternatives » déclare Franck Montaugé. Certaines ont été entendues mais la question du véritable statut de ces travailleurs reste « à clarifier » selon les termes du rapport. « La création d’un tiers statut entre le salariat et l’indépendance qui engendrerait de la confusion et de la perméabilité et qui générerait vraisemblablement un nivellement par le bas, semble écartée par la mission » se satisfait le sénateur Montaugé. « Nous regrettons en revanche que ne soit pas rendue possible la requalification de ces indépendants en salariés » poursuit-il.
Avec ses collègues, il propose donc des adaptations juridiques figurant dans la proposition de loi relative à la protection des travailleurs indépendants par la création d’un devoir de vigilance, à la défense du statut de salarié et à la lutte contre l’indépendance fictive.
A savoir :
1. Rendre possible des actions de groupe permettant des requalifications collectives au sein des plateformes. Elles éviteraient des procédures judiciaires individuelles longues et couteuses dont les chauffeurs VTC et les livreurs à vélo n’ont pas les moyens. Certaines plateformes, dont le seul élément de compétitivité consiste à faire pression sur le coût du travail, seraient mises en difficulté.
2. Réguler le secteur des plateformes numériques par un portage salarial au moyen des coopératives d’activité et d’emploi (CAE). Une taxe sur le chiffre d’affaires des plateformes viendrait alimenter un fonds de soutien à la création et au développement de ces CAE. Ce dispositif diminuerait les charges fixes et augmenterait d’autant la rémunération des coopérateurs, étape nécessaire pour que la CAE apparaisse aux indépendants comme une véritable solution.
3. Améliorer la protection des indépendants en garantissant pour chacun le droit, lorsqu’il délivre une prestation pour le compte d’un donneur d’ordre, de bénéficier d’une rémunération « juste et décente », qui ne saurait être inférieure à un équivalent SMIC. Réaffirmer l’« indépendance réelle » nécessite aussi de réajuster les statuts d’auto et de microentrepreneurs. Si l’idée de départ pouvait avoir des vertus (aide au lancement limitée dans le temps), elle conduit en réalité à toutes les dérives, amplifiées par l’ubérisation du marché du travail, jusqu’à l’exploitation de sans-papiers sous-louant des comptes.
4. Créer un véritable système de représentation sociale des travailleurs indépendants, premier pas vers un syndicalisme d’indépendants. Nous appelons donc à ce que les nouveaux acteurs de cette zone de non droit qui se structurent depuis plusieurs mois soient intégrés à la négociation sociale qui va s’ouvrir suite au rapport.
5. Responsabiliser toute entreprise qui fait appel à des indépendants par un « devoir de vigilance ». Loin d’être une épée de Damoclès sur la tête des entreprises (elles ne seraient tenues de réagir qu’en cas de saisine par des tiers autorisés), il s’agit d’un ultime filet de sécurité pour prévenir les abus : non-respect d’une rémunération « juste et décente », santé, sécurité des personnes…
« Les donneurs d’ordre doivent assumer leurs responsabilités ! Nous faisons des propositions concrètes et responsables pour que cela soit le cas le plus rapidement possible » conclut Franck Montaugé.
Consulter le rapport de Jean-Yves FROUIN « Réguler les plateformes numériques de travail »